Bien de Giffen
Un bien de Giffen est un concept microéconomique inspiré par l'économiste écossais Robert Giffen. Le bien Giffen désigne un bien de première nécessité (ou bien nécessaire inférieur) dont la demande augmente avec la hausse des prix dans le cas où le prix des autres biens augmente, rendant le bien de première nécessité relativement plus attractif par effet de substitution, contrebalançant l'effet de revenu, qui est une répulsion à la hausse des prix.
Ce phénomène de contrebalancement, très rare en économie, est appelé paradoxe de Giffen. C'est un paradoxe puisqu'il va à l'encontre de la loi de l'offre et demande, selon laquelle la demande diminue à mesure que le prix d'un bien croît.
Un bien de Giffen est opposé à un bien normal.
Concept
[modifier | modifier le code]Principe
[modifier | modifier le code]Lorsque la demande d'un bien augmente avec l'augmentation de son prix, cela peut signifier que le bien en question est un bien de consommation essentiel. Lorsque son prix augmente, les agents économiques diminuent la part de leur revenu attribuée à d'autres biens pour consacrer une plus large part de leur budget à ce bien essentiel[1]. Inversement, lorsque le prix de ce bien diminue, les quantités achetées de ce bien baissent de plus en plus[2].
Ce type de bien remet donc en question la loi de l'offre et de la demande, selon laquelle la demande pour un bien diminue lorsque son prix augmente[3].
Conditions du bien de Giffen
[modifier | modifier le code]Alfred Marshall conceptualise le bien de Giffen comme celui qui remplit les trois conditions suivantes[4],[5] :
- être un bien inférieur
- représenter un pourcentage considérable du revenu de l'acheteur
- ne pas avoir de substitut
Si la première condition est remplacée par « le bien doit être si inférieur que l'effet du revenu est plus fort que l'effet de la substitution », alors ces trois conditions sont suffisantes et nécessaires.
Le cas du bien de Giffen se retrouve lorsque le revenu est très faible et que le prix le moins cher du bien est encore trop cher pour le consommateur.
Élaboration du concept
[modifier | modifier le code]Ces biens ont été nommés par l'économiste Alfred Marshall en hommage à l'économiste Robert Giffen, qui aurait mis en évidence ce type de bien :
« As Mr. Giffen has pointed out, a rise in the price of bread makes so large a drain on the resources of the poorer labouring families and raises the marginal utility of money to them so much that they are forced to curtail their consumption of meat and the more expensive farinaceous foods: and, bread being still the cheapest food which they can get and will take, they consume more, and not less of it. »
« [Comme l'a souligné Mr. Giffen, une augmentation du prix du pain ponctionne tant les ressources des familles ouvrières les plus pauvres et augmente tant l'utilité marginale de l'argent envers elles qu'elles sont obligées de réduire leur consommation de viande et de farineux plus coûteux ; et comme le pain reste l'aliment le moins cher qu'elles peuvent se procurer et qu'elles ne peuvent qu'accepter d'en prendre, elles en consomment davantage, et non moins.] »
— Alfred Marshall, Les Principes de l'économie politique ( éd. de 1895 )
Alfred Marshall prend typiquement l'exemple des aliments de base comme biens de Giffen puisqu'ils cochent tous les critères et composent en grande partie le revenu des citoyens pauvres.
Étude empirique
[modifier | modifier le code]A cause de la rareté des biens de Giffen, du nombre de conditions nécessaires à leurs mises en effet, et des instruments scientifiques impraticables[note 1], il est difficile d'étudier empiriquement un effet de Giffen[6].
Grande Famine d'Irlande
[modifier | modifier le code]La patate lors de la grande famine irlandaise de 1845 à 1849 est considérée comme un bien de Giffen classique, et est l'événement qui a fécondé le concept de bien de Giffen[7].
A cause de la Grande Famine, les prix de la patate, mais également de tous les biens alimentaires, se sont mis à augmenter fortement. De ce fait, les Irlandais n'ont pas pu acheter d'autres biens alimentaires que des patates, qui était l'aliment de base, ce qui a fait augmenter la demande en patate malgré la hausse des prix[7],[8],[9].
En 1999, l'économiste américain Sherwin Rosen conteste le lien entre bien de Giffen et la Grande Famine, puisque l'augmentation de la demande en patate pourrait s'expliquer par une courbe d'offre et de demande classique[10].
Charles Read considère qu'empiriquement le bien de Giffen lors de la Grande Famine n'était pas la patate, mais le lard[11],[12].
Autres exemples
[modifier | modifier le code]Les cryptomonnaies telles que le Bitcoin ont été théorisées comme étant des biens de Giffen, puisque par spéculation une hausse des prix fera accroître la demande en ce type de bien[13]. Cette proposition est cependant contestée par les données empiriques[14].
Anthony Bopp considère en 1983 que le kérosène est un bien de Giffen, étant donné que c'était une essence de basse qualité utilisée pour réchauffer les foyers[15].
En 2007, Robert Jensen et Nolan Miller démontrent l'existence du bien de Giffen en affirmant que dans certaines régions de Chine, le blé et surtout le riz sont des biens de Giffen[16],[17].
Ouest-France considère que les aliments de base en France en 2022 peuvent être vus comme des biens de Giffen. En effet avec une situation de hausse des prix pour les aliments depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie, la demande en aliments de base augmente[3].
Notes et références
[modifier | modifier le code]- (de) Cet article est partiellement ou en totalité issu de l’article de Wikipédia en allemand intitulé « Giffen-Paradoxon » (voir la liste des auteurs).
Notes
[modifier | modifier le code]- Étudier un bien de Giffen requiert d'étudier spécifiquement les situations d'individus dans la pauvreté, or les instruments empiriques de l'économie se concentrent sur des agrégats, donc sur des moyennes supraindividuelles.
Références
[modifier | modifier le code]- Marc Montoussé, Sciences économiques et sociales, 1re ES, Editions Bréal, (ISBN 978-2-7495-0546-6, lire en ligne)
- Raymond Barre, économie politique, tome 1, Paris, Presses universitaires de France, 723 p., p. 527
- Par Nicolas HASSON-FAURÉ, « Pourquoi achète-t-on certains produits de base en plus grande quantité quand leur prix augmente ? - Edition du soir Ouest-France - 23/06/2022 », sur Ouest-France.fr, (consulté le )
- Philippe Aghion, Microéconomie, Pearson Education France, (ISBN 978-2-7440-7457-8, lire en ligne)
- Alfred Marshall, Principles of Economics,
- (en) Werner Hildenbrand, « On the law of demand », Econometrica, vol. 51, no 4, , p. 997-1018 (DOI 10.2307/1912048, JSTOR 1912048)
- Aurelio Mattei, Manuel de micro-économie, Librairie Droz, (ISBN 978-2-600-00472-5, lire en ligne)
- (en) Gerald P. Jr. Dwyer et Cotton M. Lindsay, « Robert Giffen and the Irish Potato », American Economic Review, vol. 74, no 1, , p. 188–192 (JSTOR 1803318)
- (en) Ulrich Kohli, « Robert Giffen and the Irish Potato: Note », American Economic Review, vol. 76, no 3, , p. 539–542 (JSTOR 1813371)
- (en) Sherwin Rosen, « Potato Paradoxes », Journal of Political Economy, vol. 107, no 6, , p. 294–313 (DOI 10.1086/250112, JSTOR 2990755, S2CID 222454869)
- (en) Charles Read, « Giffen Behaviour in Irish Famine Markets: An Empirical Study », Cambridge Working Papers in Economic and Social History No. 15, (lire en ligne )
- C. Read, ‘The Irish Famine and Unusual Market Behaviour in Cork’, Irish Economic and Social History 44:1 (December 2017) pp. 3-18. [http://doi.org/10.1177/0332489317705461].
- (en) Peter Tchir, « Bitcoin - Giffen Good Or Bubble? » , sur Forbes (consulté le )
- (en) « Is Bitcoin a Giffen Good or a Speculative Bubble? – City REDI Blog » , sur blog.bham.ac.uk (consulté le )
- (en) Anthony Bopp, « The demand for kerosene: A modern giffen good », Applied Economics, vol. 15, (lire en ligne [PDF])
- (en) Robert Jensen et Nolan Miller, « The impact of food price increases on caloric intake in China », Agricultural Economics, vol. 39, no 1, , p. 465–476 (PMID 21625411, PMCID 3101574, DOI 10.1111/j.1574-0862.2008.00352.x)
- (en) Robert Jensen et Nolan Miller, « Giffen Behavior: Theory and Evidence », National Bureau of Economic Research, no 13243, (lire en ligne [PDF])
Voir aussi
[modifier | modifier le code]Articles connexes
[modifier | modifier le code]Liens externes
[modifier | modifier le code]Bibliographie
[modifier | modifier le code]: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
- (en) Robert Jensen et Nolan Miller, « Giffen Behavior and Subsistence Consumption », American Economic Review, vol. 98, no 4, , p. 1553–77 (PMID 21031158, PMCID 2964162, DOI 10.1257/aer.98.4.1553)
- (en) Anthony Bopp, « The Demand for Kerosene: a Modern Giffen Good », Applied Economics, vol. 15, no 4, , p. 459–467 (DOI 10.1080/00036848300000017)
- (en) Etsusuke Masuda et Peter Newman, « Gray and Giffen Goods », The Economic Journal, vol. 91, no 364, , p. 1011–1014 (DOI 10.2307/2232507, JSTOR 2232507)
- (en) George Stigler, « Notes on the History of the Giffen Paradox », Journal of Political Economy, vol. 55, no 2, , p. 154 (JSTOR 1825304)