Un Enfant de 4 Ans Est Acheve D'imprimer

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UN ENFANT DE 4 ANS

EST ACHEVÉ D'IMPRIMER


P. CAILLON

Les enfants-loups
••
Quand une louve perd ses petits. elle a. dit-on. autant de chagrin qu'une maman qui
perd son bébé. Et puis, elle a besoin d'être débarrassée de son lait. Il arrive donc qu'elle
puisse s'emparer d'un bébé, dans le village voisin, pour l'élever, sans lui faire de mal.
On connaît cinquante-deux cas d'enfants sauvages, c'est-à -dire d'enfants élevés par
des animaux sans contact avec l'homme. Ce phénomène extrêmement rare, est très
éclairant sur ce qu'est l'homme et son développement. Voici un cas, pour faire image.
On avait remarqué, au fond d'une forêt, un monstre au milieu d'une bande de loups.
Par monstre, il faut entendre une forme inconnue. On tua donc les loups pour avoir le
monstre. C'était une petite fille, qui pouvait avoir huit ans et qui vivait toute nue, à
quatre pattes, avec des ongles et des cheveux qui n'avaient jamais été coupés. Elle ne
savait pas parler, elle hurlait comme les loups, un peu comme un sourd-muet ne parle
pas parce qu'il n'entend pas. et nous verrons que c'est là le trait décisif. Dans l'orphelinat
où on l'avait mise après sa capture, elle courait après les poules qu'elle éventrait à même
la plume et dont elle dévorait les entrailles avec délices. Elle avait trouvé un poulet crevé
au milieu de la cour. (11e était allée le déguster dans un fourré et revenait en se léchant
les babines, comme on revient d'un festin, les déchets lui tombant des lèvres. Pour boire,
_elle lapait. L'articulation de la hanche et des genoux était raide, parce qu'elle était
toujours à quatre pattes. Au contraire, l'articulation de la mâ choire était très distendue
car elle mâ chait comme une louve. Au début, quand on s'approchait d'elle, elle faisait
comme un chien qui va mordre. Pendant six mois, on ne put l'habiller, elle ne suppor- tait
aucune étoffe, elle était habituée à être parfaitement libre. Elle ne vivait que la nuit. Le
jour, elle se tapissait dans un coin d'ombre, le nez contre le mur. C'est ce qu'on appelle
photophobie, peur de la lumière. Le jour, elle perdait ses moyens; la nuit, elle retrouvait
son agilité. Bref, elle faisait tout comme elle avait vu faire dans la caverne des loups. Ce
n'était pas l'hérédité, c'était la marque très spéciale imprimée dans les premières
années, le poids spécifique de la première enfance. Finalement, on n'a pas pu la
rééduquer, elle est morte.
En fait, elle a vécu encore neuf ans après sa capture : découverte vers l'â ge de huit ans,
elle est morte vers dix-sept ans. Pendant neuf ans, elle a été entre les mains d'un pasteur
anglican et de sa femme qui ont dépensé pour elle des trésors d'ingéniosité, d'affection,
de dévouement el de patience. Mais, en neuf ans, on ne lui a appris que quarante-cinq
mots, c'est-à -dire prempic le néant, il a fallu trois ans pour qu'elle sache se tenir debout
alors qu'un bébé normal marche vers douze mois, et encore, elle se tenait debout comme
un chien qui fait le beau, c'est-à -dire avec la langue pendante entre les dents.
Il est essentiel de souligner qu'on lui a tout de même appris quarante-cinq mots,
c'était vraiment un être humain, car un petit chien n'apprend pas un seul mot; mais on
peut dire aussi qu'on ne l'a pas rééduquée, car aucune maman ne se contenterait d'un
résultat si pauvre pour ses propres enfants.
Et tout ceci n'est pas une légende. La collection 10/18 a publié en 1964 un livre de
Lucien Maison intitulé Les enfants sauvages et dont la parution a été saluée comme un
événement par la grande presse. Maison donne le répertoire des cinquante-deux cas
recensés sérieusement avec la date de la découverte, l'â ge de l'enfant quand il fut trouvé
et les premières communications scientifiques de quel- que portée.
Soulignons que M. Maison se prétend agnostique. Ceci est très important. Car ce que
nous dirons ici n'a pas été inventé par les prêtres pour les besoins de leur cause. Bien
qu'il ne croît pas en Dieu, M. Maison pense que l'Eglise devrait utiliser ses travaux pour
évangéliser les jeunes foyers. C'est ce que nous tenterons de faire ici.

AU DEBUT, L'ENFANT NE COMPREND RIEN, MAIS IL A VU

Dans ces pages, je parlerai à la première personne chaque fois que ce sera
indispensable pour authentifier un fait dont il serait im- possible autrement d'indiquer
la référence.
Donc, à la fin du mois d'aoû t 1965, j'ai dû faire un voyage en Tchécoslovaquie. C'était
la première fois que je franchissais le rideau de fer. Dans ce pays, comme dans les autres
pays communistes, le gouvernement poursuivait une politique double. D'une part, faire
croire à l'univers entier que la religion était libre, et ainsi, la messe pouvait avoir lieu, en
gros, dans les églises. Mais, d'autre part, faire l'impossible pour étouffer la religion : par
exemple, le catéchisme aurait dû avoir lieu, en principe, d'après la loi, dans le cadre de
l'école, une heure par semaine. Mais en fait, il fallait tellement de démarches, de forma-
lités, de paperasseries pour inscrire les enfants que personne n'avait cette audace. A
Pilsen, 150 000 habitants, sept enfants seulement allaient au catéchisme: à Prague. la
capitale, un million d'habitants, pas un seul enfant n'allait au catéchisme.
C'est donc au sein des familles encore religieuses que se transmet- tait la foi. Un curé
tchécoslovaque, très cultivé, me racontait qu'ayant Un jour un mot à dire à une famille, il
alla sonner à la porte. C'est le petit garçon de cinq ans qui vint ouvrir sans savoir qui
était là , mais pour montrer qu'à cinq ans, il ouvrait la porte aussi bien que papa.
Reconnaissant le prêtre. il lui dit : « Oh ! mon Père, entrez ! J'ai à vous dire une chose
importante.» M. le Curé se demandait bien ce qu'on bambin de cinq ans pouvait avoir à
dire d'important. Le petit repris : « J'ai la foi. Personne n'arrachera cette foi de mon cœur.
Et puis, je sais toutes les paraboles de l'Evangile... Je sais toutes mes prières... Et vous
allez me confesser. »
Le prêtre donc le confessa. Il m'a d'ailleurs dit avoir parfois confessé des enfants de
quatre ans.
Après la confession, il lui demanda : « Tu t’es confessé. C’est peut- être parce que tu
veux communier ? »
L'enfant, cinq ans, n'avait pas prévu toute cette conversation et resta en suspens un
quart de seconde. M. le Curé expliqua : « Tu sais bien ce qu'est le pain eucharistique ? »
Pointant un doigt triomphant. le petit s'écria : « Oh oui ! Corpus Christi ! » Il avait vu et
entendu à l'église.
j'étais complètement stupéfait. Car je venais d'arriver. Ce prêtre ignorait tout de moi,
jusqu'à mon nom et notamment que je m'intéressais à l'importance de la première
enfance. Je lui ai donc demandé à quel â ge les parents fidèles au Christ commençaient
l'éveil religieux de leurs enfants. « Dès le début. me dit-il. Quand la maman se relève, huit
jours après la naissance, les parents font la prière autour du berceau. Au début, l'enfant
ne comprend rien, mais il a vu. »
Je trouve admirable que des parents sous le pressoir de la persé cution communiste,
aient retrouvé comme d'instinct des choses très simples dont on peut faire une
présentation scientifique.
Ces pages ont été écrites pour tenter de susciter en chaque foyer une pareille ferveur.
Elles sont destinées à être remises à la maman, pendant les quelques jours qui suivent
immédiatement la naissance. Ne souffrant plus, tout heureuse au contraire d'avoir un
enfant, mais ne pouvant encore se lever, la jeune femme goû te alors quelq-ues jours de
retraite où elle peut lire et méditer sur ses nouvelles responsabilités. Elle saisira que la
destinée de son enfant peut dépendre. pour une part importante, de ce qui se passera
entre zéro et quatre ans, puis entre quatre et sept.
On peut également donner ce texte dans les quelques semaines qui précèdent la
naissance. La future mère, ne faisant qu'un avec son enfant, est alors éminemment
sensibilisée à toutes ces questions.

MOI, J'AI QUATRE ANS, JE SAIS TOUT DIRE

Un jour, je prêchais dans une paroisse et M. le Curé n'avait pas la télévision. Voulant
regarder une émission, j'allai sonner à la porte d'une famille où je pensais pouvoir me
présenter. C'est le petit garçon de quatre ans qui vint m'ouvrir. Comme il était tout seul,
je lui demandai s'il avait la télévision. L'enfant tout surpris et roulant les épaules,
répondit d'un air important : « Bien sû r! ». Ne voyant personne d'autre arriver, je lui dis :
« Sais-tu tourner le bouton ? », Le gamin, d'un geste protecteur, me posa sa petite main
sur le bras et m'expliqua : « On ne tourne pas, on appuie.»
— « Mais tu sais bien parler », observai-je émerveillé.
— « Moi, maintenant, j'ai quatre ans, je sais tout dire.»
Cet enfant exprimait avec candeur une vérité que les spécialistes ont mise en formules
scientifiques et à laquelle on ne saurait donner trop de relief : un enfant de quatre ans
sait parler. Entre zéro et quatre ans, il a pris une première maîtrise du langage.
Le titre que nous avons donné à cette brochure : Un enfant de quatre ans est achevé
d'imprimer peut être à la fois très mauvais ou très bon. Très mauvais si l'on comprend
qu'il n'y a plus rien à faire après quatre ans; mais tout le monde saisit d'emblée que
l'éducation n'est qu'amorcée à ce moment-là . Très bon s'il alerte l'opinion et rappelle
que l'éducation commence au berceau.
Nous avons voulu mettre comme en exergue ces parents de Tchécoslovaquie : huit
jours après la naissance, ils font la prière auprès du berceau. Il y a là tout tin
enseignement. Que faire, avons-nous dit, pour apprendre à un enfant à parler ? Rien. De
même, que faire pour lui apprendre à prier ? Rien, sinon lui donner l'exemple de la
prière.
Nous avons voulu également mettre en tête de cette étude le cas des enfants-loups,
parce que c'est lui qui éclaire le mieux les questions que nous avons à traiter. Tous les
spécialistes sont d'accord ; pour un enfant-loup, l'apprentissage de la parole est au-delà
de ses possibilités. Quand on découvre un enfant qui, jusqu'à sept ou huit ans a été élevé
par des animaux, pratiquement on ne peut plus lui apprendre à parler. C'est trop tard. Il
n'a vu ni entendu à l'â ge requis.
Ceci est très grave pour tous ceux qui sont chargés d'éducation ou de penser la
pastorale dans l'Eglise. Car s'il est impossible d'apprendre à parler à l'enfant-loup,
comment apprendre l'amour de Dieu au petit des matérialistes. Certes il n'est pas
impossible de convertir un adulte, nous savons tous que c'est possible. Mais ce n'est pas
si fréquent, ce n'est pas si facile. Personnellement, je connais Jeannette Vermesch, la
veuve de Maurice Thorez. Or, les quatre fils de Maurice Thorez sont athées. Bien sû r, on
peut apprendre demain qu'un fils Thorez s'est converti et entre à la Trappe. Mais ce n'est
pas encore fait : il faut le faire!
Le sens de la parole est spontané chez nous, tout le monde parle, mais s'il n'est pas
éduqué à temps. on aura un monstre incapable de parler. De même le sens de Dieu est
inné chez tout être humain, mais s'il n'est pas éduqué à temps, que se passera-t-il ? Ne
risquera- t-on pas d'avoir quelqu'un qui restera peut-être étranger à toute vie de prière ?
Lorsque Maison a publié son livre Mir les enfants sauvages, les critiques ne lui ont pas
manqué. Le tout-venant des lecteurs peut difficilement contrô ler dans le détail ce qu'on
raconte sur les enfants-loups.
On est donc tenté de contester ce qu'on ne peut vérifier personnelle- ment. Mais
Maison demeura inébranlable. A juste titre, car l'essentiel de sa pensée est indubitable :
l'empreinte reçue dans la première enfance est d'une telle profondeur qu'elle peut avoir
un caractère définitif. Avant d'aller plus loin, nous voudrions en donner deux exemples
de constatation courante.
Les sourds-muets ne parlent pas parce qu'ils n'entendent pas, et cependant ils voient
tout le monde parler dans leur entourage. Mais voir ne suffit pas, il faudrait entendre en
même temps. Certes, amener un sourd-muet à parler n'est pas impossible, mais
demande un travail incroyable, alors qu'un bébé normal, entre zéro et quatre ans,
apprend à parler sans s'en douter.
L'autre exemple est celui de l'accent. J'ai eu l'occasion de donner des leçons de
français à un Allemand de quarante-six ans. Pendant des années, il a fait des efforts
inimaginables pour acquérir un bon accent français. Il n'y est jamais arrivé. Car notre
accent nous vient, pas uniquement, mais surtout de notre première enfance. Un jour, j'ai
rencontré une dame très distinguée, mais dont je ne pouvais dire si elle était nordique ou
d'Europe centrale: je finis par faire une phrase pour lui demander d'où elle était : « Oh!
mais! me dit-elle avec vivacité, je m'appelle Mabille de Poneheville, je suis la nièce de
l'abbé Thellier de Poncheville que, peut-étre, vous connaissez.» J'avais donc fait un pas
de clerc et l'on parla d'autre chose. Un quart d'heure après. elle me dit que, dans sa
famille, les bébés apprennent toujours l'anglais en même temps que le français : une
nurse leur parle anglais dès leurs premiers jours. Apprendre deux langues à la fois entre
zéro et quatre ans peut parfois risquer (l'altérer un jour l'accent de la langue maternelle.
En tout cas, on reconnait l'accent de Rouen ou de 'Lyon. de Marseille ou de Lille, et il est
difficile de s'en libérer.
Eh bien ! si notre accent nous vient de notre première enfance, un certain accent
d'amour de Dieu peut avoir la même origine. Heureux le bébé à qui Dieu a donné une
sainte mère et un père admirable!
Mais il est temps de demander l'avis de quelques savants.

FREUD (1856 - 1939)

Parmi les savants qui ont mis en relief l'importance de la première enfance. Freud est
sans doute le plus connu. Mais, s'il vivait encore. Freud serait certainement très surpris
de se voir mentionner dans une brochure dont le but est de rappeler la nécessité de la
prière en famille, car Freud était un Juif absolument athée. Le fait que Freud ne croyait
pas en Dieu doit être noté avec soin. Ce que nous disons n'a pas été inventé par l'Eglise
pour les besoins de sa cause. Mais l'Eglise, au cours des siècles, a toujours su tirer la
leçon des progrès scientifiques accomplis même par ceux qui professent ne croire ni à la
Révélation ni à l'existence de Dieu. Nous pouvons cependant citer ces quelques lignes
écrites par Freud en 1928 dans sa correspondance privée : « Comment se fait-il
qu'aucune personne pieuse ne découvrit jamais la psychanalyse ? Pourquoi lui fallut-il
attendre un Juif absolument athée ?»
Freud était donc un médecin de Vienne, en Autriche, qui soignait des malades
mentaux. Etant Israélite, il dut fuir la persécution hitlérienne et se réfugia à Londres en
1938. 11 y mourut le 23 septembre 1939.
Peu à peu. Freud en vint à penser qu'on pourrait trouver l’origine des maladies
mentales dans les malformations de la première enfance. Quand un malade venait le
trouver, Freud lui indiquait un divan et le faisait coucher sur le dos; puis il se mettait par
derrière pour ne pas impressionner le patient et lui demandait de raconter ses rêves, sa
vie, tout son passé. On remontait ainsi aux toutes premières années de l'existence. En
1896, Freud donna à cette technique le nom de psychanalyse, ou analyse de l'â me. C'est
pourquoi les disciples de Freud s'appellent des psychanalystes.
Les disciples de Freud lisent volontiers qu'avant quatre ans se gravent les impressions
profondes et qu'ensuite on n'a plus que des surimpressions ou impressions de surface.
Voici la preuve qu'ils donnent : Essayez de vous rappeler vos plus anciens souvenirs.
Vous ne remonterez guère au-delà de vos trois ans et demi ou quatre ans, et c'est peut-
être une exception qui confirme la règle, ou mieux, c'est un faux souvenir, une
reconstitution ; on vous a tellement dit « Quand tu avais dix-huit mois, la tante Ursule est
venue, tu as cassé un bol. » On se figure qu'on se souvient. En fait, on reconstitue. J'ai vu
un jour, dans une famille, une jeune femme qui prétendait se souvenir que, quand elle
avait deux ans, elle s'était cachée derrière le rideau de la fenêtre pour déguster tout à
loisir une boite entière de suppositoires. Sa grand-mère rétorquait : « Mais non, tu ne te
sou- viens pas, c'est moi qui te l'ai raconté.»
Qu'est-ce que cela prouve ? D'une part, un enfant de quatre ans sait parler; il a donc
absorbé énormément de choses. Mais ensuite sa mémoire ne restituera plus presque
jamais rien. On parle ici (l'amnésie infantile, ce n'est pas une maladie. C'est le fait que le
bébé, tendu vers l'avenir, oublie tout à mesure, mais reste cependant marqué par ce qu'il
a vécu.
Dans l'homme, Freud a distingué comme trois étages : il y a d'abord la conscience,
c'est-à -dire les choses auxquelles nous pensons spontanément; puis le subconscient ou
préconscient qui est comme l'entrepô t de la mémoire ou le réservoir de tout ce que nous
pouvons nous rappeler si nous le voulons, enfin l'inconscient, les profondeurs de notre
être, où se situent à la fois les poussées les plus primitives qui commandent notre vie
sans que nous le sachions vraiment et aussi tout ce que nous avons refoulé sans nous en
rendre compte dans le mystère le plus secret de nous-même et qui n'est plus accessible
même si nous le voulions.
Cet inconscient gouverne notre vie d'une façon d'autant plus puis- sante qu'il est
mieux ignoré. Pour en faire saisir l'importance, on prend d'ordinaire une comparaison.
Quand arrive le printemps, des montagnes de glace se détachent du pô le et viennent
flotter jusqu'à Terre-Neuve. Dans ces icebergs, un dixième seulement est au-dessus de
l'eau, et neuf dixièmes au-dessous, car la densité de la glace est 0,9. De même chez nous,
ce qui affleure à la conscience, ce à quoi nous pouvons penser n'est qu'une petite frange.
Le reste est dans l'inconscient. Or les spécialistes disent que la première enfance joue un
rô le important dans la formation de l'inconscient.
D'où l'importance capitale de travailler, disons presque scientifiquement, à mieux
faire aimer Dieu par les tout jeunes enfants, à cet â ge privilégié d'où se gouverne la vie
entière. Supposons qu'un enfant arrive au catéchisme, venant d'une famille où il n'a
jamais vu prier personne. S'il est intelligent, il saura peut-être par cœur ce qu'on lui
apprendra. il sera peut-être le premier à la communion, mais peut- être aussi qu'à douze
ans, il ne viendra plus à l'église. ou mieux n'aura jamais eu beaucoup de foi. Car la foi ne
s'apprend pas par cœur dans un livre : bien qu'elle soit d'abord un don de Dieu, elle
suppose aussi un cheminement dans l'esprit de l'homme. elle épouse normalement les
lois de croissance de l'esprit et s'imprègne inconseiern- nient, surtout dans la première
enfance. La grâ ce ne détruit pas la nature, elle la respecte.
Si donc les maladies mentales peuvent venir de la première en- fance, la santé
spirituelle et l'enracinement du sens de Dieu peu- vent venir aussi de la première
enfance.

LE P. JOUSSE (1886 - 1961)

Freud ne croyait pas en Dieu. Le P. busse au contraire était lin Jésuite qui avait une foi
profonde. Mais tous deux avaient en commun d'être des penseurs et des savants qui,
voulant résoudre le problème de l'homme, se penchèrent sur la première enfance.
Le P. Jousse est né à Beaumont-sur-Sarthe en 1886. Sa maman n'était allée à l'école
que trois hivers, c'est-à -dire qu'elle était pratiquement illettrée. De plus, Mme Jousse,
orpheline de bonne heure, avait été élevée par sa grand-mère qui, elle, était parfaitement
illettrée. Et rependant, Mme Jousse avait appris par coeur à son enfant, en l'allaitant et
en le berçant, les évangiles des dimanches et fêtes, sur un air de psalmodie, dont on ne
sait d'où il venait. Si bien que le P. J pusse savait par coeur ces évangiles avant d'arriver
au catéchisme. Et tous ses travaux ont procédé d'une méditation sur sa propre enfance.
Par ailleurs, le P. Jousse est l'auteur d'une théorie de la connaissance qu'il appelle
intussusception : prendre par-dessous pour faire pénétrer à l'intérieur. L'être humain,
quel que soit son â ge, quand il voit, entend, perçoit quelque chose, cela se dépose dans
ce que les Hébreux appelaient le coeur, c'est-à -dire ce qu'il y a de plus profond dans
l'homme. Constamment, nous redisons tel quel ce que nous avons ainsi enregistré : c'est
du par coeur. Mais constamment aussi, entre deux connaissances, acquises à des
périodes parfois très distantes, jaillit l'éclair de la découverte : c'est du nouveau. C'est
pourquoi l'Evangile dit que l'homme tire de son trésor de l'ancien et du nouveau.
Pour un enfant, posséder l'Evangile par coeur avant d'arriver an catéchisme, c'est une
intussusception, une rumination très riche.
A quatorze ans, il entra au Petit Séminaire de Sées. Là il apprit par cœur le premier
chant de I'Illiade, parce qu'il eut l'intuition que l'Illiade, comme l'Evangile, avait été
composée dans une civilisation de style oral où , pratiquement, presque personne ne
savait lire. L'auteur pouvait ne pas savoir lire. Il composait de mémoire, comme ses
auditeurs redisaient de mémoire. Avant l'imprimerie. 5% seulement des gens savaient
lire, la mémoire jouait un grand rô le. Marcel Jmisse avait donc remarqué dans l'Eliade,
comme dans l'Evangile, des formules toutes faites, qui ont pour but d'aider la mémoire.
C'est ce qu'il appelle le formulisme.
Après avoir fait son grand séminaire et avoir été ordonné prê tre, il entra chez les
Jésuites et. en 1914, dut partir à la guerre.
Quand il fut revenu en France, le P. Jousse enseigna à l'Ecole tics Hautes Etudes qui
était pourtant le repaire des anticléricaux. puis à la Sorbonne, à l'amphithéâ tre Turgot,
puis à l'Ecole d'Anthropologie. Il s'y fit admettre par sa compétence magistrale.
9•
De culture très étendue. le P. Jousse n'était pas une petite jeune fille, qui n'ayant aucun
diplô me s'occupe d'enfants parce qu'elle ne peut faire mieux. L'abbé Brémond. qui était
bon juge, disait de Jousse : « Il est le fondateur de l'anthropologie, le Copernic et le
Newton de la mécanique humaine. Avant Jousse, on avait une squelettologie, maintenant
on a une anthropologie.), De fait, la première fois que l'abbé Brémond se trouva en face
du P. Jousse, il vit qu'il était devant un génie, il était fasciné, étourdi. émerveillé.
Or. le P. mousse pose ce principe : « L'homme se construit surtout avant sept ans, en
rejouant ce dont il est témoin, c'est-à -dire en imitant sans y penser ». Mettez un bébé de
trois semaines dans une famille chinoise, à quatre ans, il parle chinois, sans effort et avec
un accent parfait. Mettez-le chez les parents de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, nous
savons quels fruits de sainteté pourront en .procéder.
On a bien compris qu'ici le mot rejouer est un terme technique. Il signifie qu'on ne
peut rien faire devant les enfants sans qu'aussitô t ils imitent sans même s'en rendre
compte. L'imitation volontaire ne viendra qu'ensuite. Ce principe si important. nous
allons l'illustrer par un fait.
M. \Vladimir d'Ormesson m'a raconté que, pendant qu'il était ambassadeur en
Argentine. un Français, spécialiste des serpents, s'engageant dans une région peu
connue d'Amérique du Sud, se heurta à une tribu d'anthropophages. Car à l'heure
actuelle, il y a encore des anthropophages en Amérique du Sud. Le Français fit donc
usage de ses armes, non pour tuer ces pauvres gens, mais pour leur faire peur. La tribu
s'enfuit, abandonnant sur le terrain une petite fille -d'environ un mois qui fut recueillie
par le Français et élevée par lui.
Physiquement. elle a tous les traits de la sauvage, enfin de sa tribu. Mais, pour le reste,
elle parle et écrit un français précieux, elle fut première en latin et en grec. Elle a pris les
manières et les habitudes du milieu distingué où elle a vécu. Tant il est vrai que l'homme
se construit, surtout avant sept ans, en rejouant ce dont il est témoin. Le cas de cette
petite anthropophage est le pendant exact du cas des enfants-loups et corrobore
solidement ce que nous avons dit à ce sujet.
On comprend donc à quel point il est capital que l'enfant voie prier ses parents dès le
plus jeune iige, mais dan. l'attitude extérieure du plus profond respect. Car ici l'extérieur
compte beaucoup puisque l'être humain. surtout dans la prime enfance, se construit en
rejouant ce qu'il voit. Un adulte devant qui on se tient mal en priant peut rétablir les
ehose.. Le bébé ne peut faire ce rétablissement et son Fond d'â me se constitue à partir de
ce qu'il perçoit.
Et voici Fun des grands projets du P. Jousse. Constatant à quel point les familles ne
donnent trop souvent aucune initiation religieuse à leurs enfants, il aurait voulu créer un
corps d'éducatrices qu'il
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appelait Assistantes maternelles et qui, en procurant aux enfants la formation
souhaitable, auraient réappris aux parents comment il fau- drait faire. 11 y eut pendant
un temps, à Paris. une Eeole d'éducatrices qui s'inspirait des principes du P. Jousse.
Malheureusement, cet effort n'a pas eu de suite. Il conviendrait au plus haut point de le
reprendre sur de nouvelles bases. Le Mouvement Montessori pourrait sans doute
recueillir cet héritage.
MADAME MONTESSORI (1870 - 1952)
Maria Montessori est née à Rome en 1870. Elle fut la première jeune fille qui osa dire
à ses parents qu'elle serait docteur en méde- cine. Ceci se passait à Rome vers 1890. A
cette époque, une jeune fille comme il faut ne faisait pas d'études : elle avait sa dot, ses
toilet- tes, ses leçons de piano et de peinture; elle attendait l'avenir. Elle recevait une
excellente éducation, mais ne préparait pas d'examens c'eû t été laisser entendre qu'on
avait besoin (1"e travailler pour vivre. Et puis, aller s'asseoir avec les garçons sur les
bancs de la Faculté... Comme Mme Montessori avait du tempérament. elle devint docteur
en médecine et fut un peu mise au ban de la société des gens de bien. Etant la première
et la seule. elle fut toujours appelée la docto- resse Montessori.
Une femme qui était docteur en médecine à l'époque, c'était une aubaine. On l'envoya
dans le quartier le plus lépreux de Rome pour s'occuper d'enfants déficients. Il s'agissait
d'enfants qui étaient en retard pour parler. On se figurait alors qu'en pratiquant une
théra- peutique sur la gorge. on les ferait parler. Mme Montessori devina que ces enfants,
comme les enfants-loups, ne parlaient pas parce que leur milieu éducatif avait été trop
pauvre. On ne saurait done don- ner trop d'importance au cas des enfants sauvages,
puisqu'il fut a l'origine des découvertes montessoriennes.
Arrivée en qualité de médecin, elle se mua en éducatrice et fonda une école. « La Casa
dei Rambini « (La Maison des Enfants). En s'occupant de ces petits, elle découvrit les lois
de croissance de l'esprit. Pour elle, l'éducation consiste à aider la vie. Et de même qu'un
avion a besoin de rouler sur le sol avant de voler, ainsi l'esprit humain a besoin de
matériel pour penser dans les premières années.
Mme Montessori a fort bien connu Freud. notamment lors d'un séjour à Vienne.
Comme lui, elle admet l'existence de l'inconscient. Mais elle pense que Freud s'arrête à
mi-chemin. Freud part des mala- dies de l'adulte et remonte à la première enfance. Mme
Montessori juge préférable de partir de la première enfance pour élever l'hom- me et
éviter les maladies de l'adulte.
De plus, Mme Montessori n'organise pas. comme Freud, l'in- conscient autour de
l'instinct sexuel. Les connaisseurs disent que la
11 •
pensée de Mme Montessori est phis profonde et plus bénéfique que celle de Freud. On
a parlé de révolution psychanalytique. C'est de révolution montessorienne qu'il faudra
parler.
Mme Montessori avait perdu la foi en faisant ses études, car à cette époque, beaucoup
de professeurs étaient incroyants. Elle retrouva la foi en se penchant sur les petits, car,
en chacun d'eux elle voyait vivre le sens de Dieu. Et elle dit elle-même que les
découvertes qu'elle a faites pendant qu'elle n'avait pas la foi sont la ruine scientifique
d'une certaine forme de laïcisme. Quand des parents venaient lui dire « Mes enfants
choisiront une religion à vingt et un ans, s'ils le désirent », elle répondait : « C'est comme
si vous disiez : je n'apprends pas à parler à mes enfants, car à vingt et un ans, ils
choisiront l'accent russe, chinois, cubain ou américain. Mais justement, à vingt ans, on
n'apprend plus à parler. »
Notons que Mme Montessori a écrit une grande partie de son oeuvre sur l'éducation
du sens de Dieu pendant l'â ge de l'esprit absorbant '. Si cette éducation n'est pas faite à
l'â ge requis. ensuite l'enseignement risque de n'être pas entendu. Cela revient à dire qu'à
sa naissance l'â tre humain est tout en devenir, qu'en lui tout a besoin d'éducation, le sens
religieux comme tout le reste et pie le mystère de l'enfance s'identifie au mystère de
l'éducation.
Toute une série d'événements empêcha Mme Montessori de mettre en œuvre elle-
même, pendant un temps suffisant, les méthodes d'éducation qu'elle a découvertes. Il est
nécessaire en effet pour qu'elles donnent tous leurs fruits qu'elles prennent l'enfant à
deux ans et se poursuivent jusqu'à l'Université.
Mais ce qu'elle n'a pu faire a été réalisé en France par un de ses disciples.
^
1. Pour la compréhension du ternie i4 esprit absorbant », voir p. 20, 40.

-
L'É cole Mo -fess° ri
Héritière de la pensée et des méthodes de Mme Montessori, une école existe
actuellement à Hennes, toujours sous la direction de son fondateur, où sont mis en
pratique les grands principes d'éducation exposés par l'illustre doctoresse italienne.
L'unique condition pour entrer est d'avoir deux ans; et l'édu- cation chrétienne est
étroitement liée au programme de formation humaine des enfants, d'abord entre deux et
cinq ans pour préparer aux sacrements de Confirmation et d'Eucharistie reçus vers cinq
ans et demi, puis entre six et douze ans.
Naturellement nous savons bien qu'on ne va pas fonder partout, dès demain matin
des écoles de ce type. Mais à tant de familles qui n'ont aucun souci de l'éveil religieux de
leurs enfants avant rentrée au catéchisme. il sera très profitable d'entendre parler d'une
école où la préparation à la première communion se fait entre deux et cinq ans. On peut
se nourrir même d'exemples qu'on n'imite pas.
LES DEBUTS
Le fondateur de cette école est un officier de carrière qui, s'étant beaucoup adonné au
scoutisme. a toujours considéré l'éducation comme son violon d'Ingres. mieux, sa grande
passion. ou plutô t la grande affaire de la vie humaine.
Quelques années après sa sortie de Saint-Cyr. il est passé par l'Ecole Supérieure de
Fabrication d'Armement : c'est là que se for- ment les officiers destinés aux recherches
techniques pour le compte de l'armée. Il a donc un cerveau de chercheur. Et ceci mérite
d'être noté car les idées développées dans ces pages ne sont pas seulement destinées à
des gens qui sont doués pour les tout-petits et qui réussis- sent avec les enfants. Elles
voudraient aussi retenir l'attention des responsables chargés de penser la pastorale
dans rEglise. Il ne s'agit pas ici de questions concernant les bébés et donc de peu
d'impor- tance : il serait même permis d'en rire doucement. Il s'agit de l'avenir de
l'homme et de comprendre que l'enfant est le père de l'homme.
Si l'on admet l'importance tout à fait spéciale des premières années dans la vie
humaine, cela ne supprimera absolument rien de ce qui est considéré comme essentiel
dans la pastorale actuelle de rEglise. Mais les divers éléments de cette pastorale
deviendront plus efficaces.
Sous l'occupation, le futur directeur de rEcole eut l'occasion d'organiser une équipe
de catéchistes groupant les chrétiens les plus
13 •
engagés et qui, vers 12 h 45, pratiquement sans avoir guère mangé, partaient faire le
catéchisme en divers coins de banlieue. Après quatre ans de ce sport, il eut la conviction
que, quand l'éducation totale n'est pas bonne, ce n'est pas une demi-heure de catéchisme
qui peut changer grand-chose.
Ayant à ce moment la responsabilité du Prytanée militaire de La Flèche, replié du cô té
de Besançon, il disposait des meilleurs officiers et des meilleurs professeurs. Mais il
avait le sentiment que, même dans ces conditions optima, l'école traditionnelle ne
donnait pas satisfaction.
Bref, père de sept enfants, dont les ainés étaient alors en bas-â ge, cet officier décidait,
en 1944, d'entreprendre lui-même leur éducation dans la salle à manger familiale, à
Limoges. Il avait lu, traduit, étudié les travaux de divers pédagogues et psychologues en
vue et d'un peu toutes les nationalités. Bientô t, il eut l'évidence que la pensée montes-
sorienne dépassait les autres de la hauteur du génie. Son école qui s'était d'abord
appelée « Essai (l'école nouvelle ». puis « Ecole nouvelle », prit définitivement le nom
d'Ecole Montessori.
Bientô t la salle à manger familiale devint trop petite, car les enfants du quartier
affluaient : quand un bébé a deux ans, la maman est trop heureuse, vers 9 heures du
matin, de pouvoir le mettre en mains sû res pour vaquer à ses affaires. Il fallait donc
chercher un autre local et on n'en trouvait pas. Au moment le plus désespéré, tout le
mobilier scolaire était sur un camion, on s'était résigné à partir dans une infâ me
soupente qui était tout de même plus grande que la salle à manger, et. tout à coup,
quelqu'un arriva en criant : Ne partez pas, on peut vous sous-louer à titre précaire, un
hangar, un , hall industriel qui servait d'entrepô t de laine au temps de prospérité. a A
titre précaire. cela voulait dire qu'on pouvait expulser l'école d'un moment à l'autre. Cela
dura, en fait, jusqu'en juin 1955.
Au début, ce hangar était beaucoup trop vaste pour un groupe minuscule de tout
petits enfants. On disposa doue, dans un coin du hangar. une cloison de carton ondulé
qui fut reculée d'année en année, à mesure que s'accroissait le nombre des élèves : au
fond c'était pratique. rien ne gênait le développement de l'école. Quand on vit un
capitaine de carrière à la tête d'enfants de deux ans dans le coin du hangar, avec la
prétention de les mener au bout de leurs études, on crut qu'il déraisonnait. Mais quand,
dans le hangar, il y eut une centaine d'enfants de deux à douze ans, on vit des
professeurs agrégés de l'Université, qui auraient pu avoir leurs enfants avec eux, pour
rien, au lycée, payer pour les mettre dans le hangar.
Les visiteurs qui passaient par Limoges, avaient l'impression de voir, dans son germe,
l'authentique réforme de l'Enseignement : une merveille dans un hangar. C'est pourquoi
quelques familles rennaises, après deux ou trois ans de réflexion, décidèrent de faire
venir dans la capitale bretonne cette école q-ui avait besoin pour s'épanouir de
l'atmosphère qu'offre une ville d'université.
• 14
En effet, pour ce type d'éducation, on désire des éducatrices du niveau de la licence,
même pour les tout-petits. Autrefois, quand une bonne fille n'avait même pas son
certificat d'études, on disait : « Elle sera jardinière d'enfants.» Ceci paraît un sacrilège
aux yeux de Mme Montessori. car il n'y a rien de plus précieux ici-bas qu'un enfant de
deux ans, par les virtualités qu'il recèle. Si vous mettez un nourrisson entre les mains
d'une personne inculte, certes, elle en prendra soin et ce sera déjà énorme. Mais si ce
bébé est placé dans un milieu culturellement riche, il boira inconsciemment toute cette
richesse. C'est pourquoi on soultaitail que des jeunes filles, faisant leurs études en
Faculté, passent déjà voir l'école et peut-être expriment le désir de vouer leur vie à cet
apostolat. Non point certes pie toute personne travaillant dans cette école doive être
licenciée. Mais le niveau de la licence est presque indispensable pour qui doit penser
l'ensemble tin problème.
1 (Adresse actuelle du fondateur de l'Ecole Montessori
M. Lanternier, 8, rue de Robien. 33 - Rennes).
L'ENSEIGNEMENT PROFANE
Latin à six ans.
Mme Montessori disait volontiers qu'un enfant est souvent sousali menté
intellectuellement et spirituellement. Pour en donner une idée nous voudrions passer
rapidement dans l'école et voir les élèves au travail. Ils commencent l'anglais vers quatre
ans, le latin vers six ans, le grec vers sept ans. Avant quatre ans. on ne parle jamais
aucune langue étrangère car alors on risquerait de n'avoir jamais un accent très pur
dans la langue maternelle.
Entrons donc à PEcole Montessori. Voici, parmi les cent enfants du hangar de Limoges
une petite fille assise à sa table individuelle. Les murs sont ceux duo hangar, mais assez
épais pour qu'il ne fasse ni froid l'hiver, ni chaud l'été. Et l'intérieur est propre el riche
comme un musée : un vrai laboratoire.
- « Quel â ge avez-vous ?»
— « Huit ans », répond la petite fille, avec un geste gracieux les petites filles sont
toujours parfaites de présentation.
Elle a auprès d'elle un grand carton blanc donnant une vue d'ensemble de toutes les
déclinaisons latines.
— « Qu'est-ce donc ?» demande le visiteur. « Vous vous servez de ce tableau ?»
- « Oh, oui ! ». répond l'enfant. « C'est très pratique pour faire
mes versions latines et mes thèmes.»
15 •
— « Vous faites déjà des versions latines et des thèmes latins, à huit ans ? »
— « Oui.»
— « Vous pouvez en montrer ? »
» Et l'enfant sort de son tiroir tout un paquet de petites copies. A huit ans, c'est tout à
fait inhabituel.

La classification de Mendeleieff.
Alors le visiteur devient sceptique et insidieux
— « Oui, mais vous ne faites que du latin ?»
« Oh, non ! Je vais même vous faire voir quelque chose de
beau. »
Et la petite fille de huit ans lève un doigt prometteur
— « Je vais vous montrer la classification de Mendeleieff.»
Le visiteur fait mine de comprendre, car les grandes personnes doivent tout savoir.
Cependant, si d'aventure quelqu'un l'ignorait, don- nons des précisions. Mendeleieff est
un savant russe qui, bien avant 1900, par conséquent bien avant le communisme, avait
découvert par calcul. (l'avance. qu'il devait y avoir quatre-vingt-douze corps chimi- ques.
quatre-vingt-douze corps simples d'après les poids atomiques. Et cela s'est révélé exact.
En entendant un mot aussi savant dans une bouche aussi jeune, vous prenez un air
suffoqué. Mais la petite fille vous prend par la main
• 16
et vous mène vers la fameuse classification de Mendeleieff. Déjà une autre petite fille
de sept ans est en train de jouer, pardon, de travail- ler à reconstituer cette mystérieuse
classification.
Elle a devant elle une petite planche de bois où sont percés quatre-vingt-douze petits
trous ronds, disposés dans un certain ordre. A cô té de chaque petit trou est gravé le
symbole d'un corps chimique Fe pour fer, Cu pour le cuivre...
Près de la planche se trouvent de petites boîtes ressemblant un peu à des boîtes
d'allumettes et sur le couvercle desquelles on peut lire : « Première période, deuxième
période, troisième période, terres rares... ». Dans ces boites, l'enfant prend des bâ tonnets
gros comme le petit doigt, portant chacun en toutes lettres le nom d'un corps chi- mique,
et les place un à un dans les quatre-vingt-douze petits trous. Tout à coup, l'enfant saisit
un bâ tonnet où on lit « Sodium ».
« Voyez-vous, dit-elle, sodium vous n'arriveriez jamais à le
trouver, car ce n'est pas « So », mais « Na », cela vient du latin Natrium.»
Puis, en plaçant le bâ tonnet dans son petit trou, la fillette de sept ans ajoute
— « Si on ne sait pas, on cherche dans un petit carnet où tout est expliqué, mais moi,
je sais souvent.»
Ainsi l'enfant apprend du même coup le nom des quatre-vingt- douze corps
chimiques, leur symbole, leur poids atomique, et leur place dans l'organisation chimique
générale — à sept ans. Evidem- ment, à cet â ge-là , l'enfant ne saurait exposer la théorie
chimique. mais son subconscient se meuble doucement d'une grande richesse
d'éléments qui éveillent des idées justes et seront très précieux par la suite.
Si on avait donné à l'enfant la même classification à apprendre par cœur dans un livre,
le rendement eû t été nul. Ici, au contraire, la petite fille se passionne pour son travail.
Malgré l'impatience du visiteur, qui voudrait s'emparer de la merveilleuse petite
planche, il faut attendre plus d'une heure que le personnage de sept ans ait achevé ses
savants exercices de classification. Car sous la première planche, il y en a une autre de
même taille, où les quatre-vingt-douze petits trous ronds se retrouvent placés le long de
paraboles qui correspondent aux périodes chimiques. C'est seulement quand les deux
planches sont terminées que la petite fille de huit ans, dont nous avons vu tout à l'heure
les devoirs de latin, peut enfin se saisir des objets convoités et témoigne d'autant
d'aisance en matière scientifique.
On va répétant que les humanités de demain seront à dominante scientifiqt;e. Bien
sû r. Mais en commençant plus tô t et de meilleure manière, on peut eonnaitre à la fois les
sciences telles que les exige l'industrie actuelle et les lettres telles qu'on les connaissait
jadis
17 •
L'enseignement de l'histoire.
Latin à six ans, nous avons suivi cette filière car elle est insolite et évocatrice. Mais ce
sont toutes les disciplines dont il faudrait parler dans cette optique. Prenons par
exemple l'histoire. C'est difficile pour un jeune de se représenter la durée dans le passé :
on trouve des étudiants de vingt-cinq ans qui mettent saint Bernard en l'an 600. L'histoi-
re, en un sens, exige presque autant de pouvoir d'abstraction que la métaphysique, si
l'on veut entrer dans la familiarité de chaque époque.
Supposons qu'on veuille donner aux enfants l'idée de ce que fut la période gallo-
romaine. On dispose d'une petite cordelette sur laquelle sont enfilées quelque cinq cents
perles, chaque perle représentant une année puisque la période gallo-romaine s'étend
environ sur cinq cents ans : depuis l'invasion de la Gaule par César (51 A.G.) jusqu'à
l'invasion de la Gaule par Attila (451 P.C.). On a donc quarante-sept perles vertes_ avant
Jésus- Christ : l'espérance, trente perles jaunes, Jésus-Christ : l'â ge d'or, et quatre cent
vingt-cinq perles rouges, après Jésus-Christ : l'ère des martyrs. On explique d'abord aux
enfants les principaux événements qui se sont déroulés le long de ce chapelet de cinq
cents ans et, ensuite, à eux de jouer, si Fon peut dire. Car, pour un montessorien, il ne faut
pas parler de jeu : il s'agit d'un matériel scientifiquement exact, c'est-à -dire capable
d'éveiller dans l'esprit des enfants des idées justes. Pour nous, on dirait un jeu. Les
enfants possèdent donc de petits cartons de 10 centimètres sur 3, mais dont l'une des
extrémités est taillée en pointe. Chacun de ces cartons porte une indication, par
exemple : naissance de saint Martin. en telle année, avec recto-verso une petite
biographie du personnage. L'enfant doit poser la pointe du carton devant la perle
correspondante; pendant
.„, qu'il compte les perles, on est tranquille, et lui se souvient. Et, en face, il doit poser
un petit saint Martin en carton qui tient debout tout seul. Peu à peu les cinq cents ans
sont meublés de personnages qui occupent chacun leur place.
Et si l'on prend ensuite la seconde République, qui n'a que quatre perles. on voit
d'emblée qu'il s'agit d'une période plus courte.

L'EDUCATION RELIGIEUSE
1° Concentrons maintenant notre attention sur un grand empla- cement qu'on appelle
l'Atrium. Chez les Romains, l'Atrium était la pièce noircie par la fumée du foyer, c'est-à -
dire le coeur de la maison. Nous sommes ici au coeur des choses. C'est là que se trouve le
maté- riel pédagogique religieux. Nous ne pouvons décrire ce matériel en quelques
lignes et ce serait d'ailleurs inutile : on ne peut s'en servir que si beaucoup de conditions
sont réalisées. Répétons seulement que les enfants commencent ici leur initiation
chrétienne vers deux ans, avec l'aide compétente, délicieuse et discrète d'une jeune
maman. Si bien qu'ils peuvent faire leur première communion vers cinq ans et que.
chaque année Monseigneur l'Evéque vient les confirmer à cet â ge-là , oui, vers cinq ans.
9" Une première objection vient évidemment à l'esprit : est-il bon d'arracher un
enfant à sa famille vers deux ans. même sous prétexte d'éducation religieuse ou
d'éducation tout court ?
J'ai rencontré un jour, en Belgique, une dame fort distinguée qui avait une fille unique.
Cette fille, elle avait pleuré une quinzaine d'années avant de l'avoir. Quand, enfin, cette
naissance tant désirée eut bien voulu se produire, la maman n'accepta jamais de se
séparer de ce bébé sous aucun prétexte, pendant au moins six ans. Naturelle- ment, il
n'est pas question de vouloir enlever un enfant à sa mère. Nous observerons seulement
qu'en France 73% des enfants vont à la maternelle sans qu'on ait jamais fait la moindre
pression sur qui que ce soit.
..-- Ici. il nous faut insister un peu pour faire comprendre que -Mme Montessori a
raison quand elle dit que l'â ge scolaire commence à deux ans.
Récemment, une jeune grand-mère gardait sur la plage de La Baule ses deux petits-
fils, deux petits cousins, â gés chacun de deux ans. Tout à coup, elle s'aperçut qu'il n'y en
avait plus qu'un : on retrouva l'autre à 3 kilomètres. Dès octobre suivant, ce fugitif fut
mis à l'école maternelle.
Dans la famille d'un pharmacien, où la maman n'a rien d'autre à faire que de veiller
sur ses enfants et son intérieur, l'appartement est au premier. Un jour, la petite fille de
deux ans profita de ce que maman était un instant à la cuisine, pour grimper à la fenêtre
et commencer à redescendre du cô té de la rue. Car du cô té de la rue, évidemment, c'est
beaucoup plus intéressant, cela ne se compare pas. Vite, on put la rattraper par la peau
du dos. et on la unit en face. chez les Sœurs, au jardin d'enfants.
Bref, Mme Montessori invite l'enfant à venir à l'école quand il ne demande lui-même
qu'à entreprendre des expéditions parfois lointaines et est devenu assez fort pour
traîner le seau à charbon. S'il reste à
19 III
la maison, on risque d'avoir de petits drames continuels et de voir se dessiner un
clivage d'hostilité entre bébé et une autorité qui interdit tout.
3° Une seconde objection viendra peut-être aussi. Celui qui entendra parler de loin de
toutes ces choses se demandera évidemment si un enfant de cinq ans est capable de
recevoir les sacrements de Confirmation et d'Eucharistie. La seule solution serait
d'examiner de près. La dernière fois que je suis allé à Rennes, c'était un vendredi. rai été
invité à déjeuner par huit petits enfants de trois ans. Il y avait une belle table ronde à
hauteur convenable pour des personnages de trois printemps; mais grà ce à de petits
sièges de taille proportionnée, un adulte pouvait se comporter fort honorablement. Nous
étions servis par tin petit garçon dont on m'avait dit qu'il avait trois ans. Aussitô t. on
draine faillit éclater. L'enfant m'expliqua qu'il n'avait pas trois ans, mais trois ans et demi,
que maman le lui avait dit la veille au soir, et qu'il refuserait de nous servir si l'on
prétendait qu'il n'avait que trois ans. Nous avons donc solennellement reconnu cette
vérité première. et l'enfant nous a servi : du potage, dans une soupière qui se serait
cassée si elle était tombée, mais elle n'est pas tombée; des carottes râ pées, do poisson.
des pommes de terre... Moi. j'aurais bien repris une pomme de terre, car j'ai plus
(l'appétit qu'un enfant de trois ans. Mais il me dit qu'il n'y en avait plus, que c'était fini,
que C'était ainsi... Quand on a vu vivre ainsi ces enfants, on se dit qu'ils pourront recevoir
l'Eucharistie vers cinq ans et demi. et que c'est d'ailleurs conforme aux directives de
l'Eglise.
4" Mais, plutô t que de décrire encore des ébats d'enfants. essayons de revenir aux
sources de la pensée montessorienne, au moins à partir de faits facilement observables.
Ce qui compte pour Mme Montessori. ce sont les premiers sept ans. quelle appelle
l'â ge de l'esprit absorbant. Mme Montessori a fait la preuve. en Amérique. en Europe et
aux Indes qu'un enfant de six ans peut connaître six mille mots, sans fatigue, alors que
notre langage habituel en utilise seulement cinq ou six cents et que Racine a baii toutes
ses oeuvres avec douze ou quinze cents mots. Et nous disons sans fatigue. un peu comme
Jean-Sébastien Bach a bu la musique tout petit au sein de sa famille : quand Jean-
Séhastien avait six mois il était blottti entre papa et maman qui, au clavier, faisaient un
quatre mains de très haute valeur: il avait des tantes violonistes, violoncellistes, flû tistes.
Il a bu la musique tout petit, sans fatigue, à un. deux, trois ans. D'ailleurs un enfant de
deux ans ne se fatigue pas'. quand il en a assez, il s'en va. il pleure ou il... fait pipi !
Beaucoup de choses qu'on attribuait jadis à l'hérédité Font dues, en fait, à la marque des
premières années : ainsi certaines familles de mathématiciens, comme les Bernouilli,
devaient leur don, bien plus qu'à l'hérédité. à une initiation précoce et avisée. La plus
heureuse hérédité d'un homme, ou la plus lourde, c'est son propre passé.
• 20
On sait que Péguy aimait à répéter : »Tout est joué avant que nous ayons douze ans. »
Certes, nous aurons à nous demander quel sens exact. quelle portée précise il convient
d'attribuer à tous ces dictons de la sagesse des nations. Nous pouvons pour l'instant
citer les vers du poète
« Sur ses premiers matins, veillons pieusement Tout dépend ici-bas de son
commencement Mauvais sera le jour si l'aurore est obscure Amer sera le fruit touché
d'une piqû re
On trouble tout le fleuve en troublant le ruisseau L'homme enfin tout entier se ressent
du berceau. »
Au fond ce que nous avons à dire se résume en quelques lignes il faut que l'enfant voie
prier ses parents dès le plus jeune â ge et dans l'attitude du plias profond respect, car
l'homme se construit. surtout avant sept ans, en rejouant ce dont il est témoin.
Nous disons : « Voie ses parents. » Ou tout au moins d'autres personnes. C'est
pourquoi une des pièces maîtresses de l'éducation chrétienne à l'Ecole Montessori de
Rennes réside en ceci : Chaque jour, à la fin de la matinée, le directeur de l'Ecole réunit à
l'atrium les enfants de six à douze ans. Et pendant un moment il leur parle. Il
recommence au début de l'après-midi pour les petits de deux à cinq ans. Il s'agit de
quelque chose qui peut tenir de l'homélie, de la lecture spirituelle, d'un commentaire
d'épître ou d'Evangile, de la leçon de catéchisme, du simple fervorino et de
l'admonestation, mais avec un accent très net sur le déroulement de l'année liturgique.
Celui qui parle ainsi toute l'année deux fois par jour ne peut prétendre faire
constamment deux chefs-d'oeuvre par jour et l'on pensera sans doute que les enfants de
deux ans ne comprennent rien. Peut-être. Du moins comprennent-ils tout de même
qu'ils entendent parler de Dieu tous les jours par quelqu'un qui y croit de tout son coeur.
Et c'est là l'essentiel.
Dans une société où l'immense masse des enfants ne voit jamais prier personne avant
d'arriver au catéchisme, on peut souhaiter la multiplication de telles écoles. Dix ans de ce
régime. entre deux et douze ans, c'est tout autre chose qu'un peu de catéchisme.

Vic ébucAtion relisieuse


pour ',Imre temps

L'IRRELIGION CONTEMPORAINE
Devant Ia nécessité impérieuse de l'éducation chrétienne se dresse un fait
horriblement massif : cette sorte d'irréligion, d'indifférence religieuse, d'absence de
pratique religieuse qui atteint une masse énor- me de nos contemporains. ,t-imiptes- -
En France. d'après les statistiques, la population se diviserait ainsi : d'un cô té, 20% de
pratiquants, parmi lesquels on distingue une poignée de militants; à l'autre bout. une
petite fraction carré- ment hostile, dont il est malaisé d'apprécier l'importance, mais qui
doit être faible; entre les deux, une masse énorme de près de 80%, composée de gens
aimables, dévoués, agréables, serviables. complai- sants, fins, évolués, mais qui ne vont
pas à la messe le dimanche et ne font jamais de prière, au moins visiblement. Nous
disons « au moins visiblement ». car on peut supposer que ces gens ont le petit fond de
foi qui suffit pour le salut éternel. Ils ressemblent à quel- qu'un dont on dirait : « Il est
musicien dans l'â me, mais il ne sait pas lire les notes sur une portée, ni trouver le do sur
le clavier : il ne fait jamais rien et, d'ailleurs, ne saurait rien faire.»
Cette sorte d'irréligion diffuse s'est répandue depuis deux siècles à partir de l'Europe.
De même que le Gulf-Stream traverse l'Atlan- tique sans qu'on puisse l'arrêter, ainsi un
courant d'idées peut traver- ser un peuple sur plusieurs générations. Les philosophes du
XVIII' siècle ont réussi à créer ce courant où l'idée de fond était très simple pour que
l'humanité connaisse enfin quelques progrès dans tous les ordres, il fallait d'abord
s'éloigner de l'Eglise, du Christ et même de Dieu.
Or, quanti on baigne dans un courant, on ne s'en aperçoit pas.
L'expérience peut être faite facilement par un nageur qui se baigne dans une mer où
existe un courant très net. En peu de temps, le nageur sera déporté, parfois très loin,
sans avoir rien ressenti et sans avoir pris conscience de rien. De même, depuis deux
siècles, des populations parfois considérables, des familles par ailleurs excellen- tes, ont
été écartées insensiblement de toute pratique religieuse sans comprendre et sans même
remarquer ce qui se passait. Il est extrême- ment douloureux (l'observer de près ce
phénomène et de recueillir cette confidence : des populations entières, par ailleurs tout
à fait
• 22
sympathiques, en sont venues à vivre comme si Dieu n'existait pas, et sans savoir
qu'elle y étaient entraînées par une dérive historique de nature idéologique. Beaucoup
d'hommes, qui disent garder leurs croyances au fond du cœur, avouent ne pas
comprendre pourquoi ils ne font jamais extérieurement aucun geste religieux : ils ne
savent pas qu'ils ont été pris doucement par l'influence du milieu.
Ce travail délétère s'est accompli, selon les régions, à des époques différentes. Les
spécialistes de la sociologie religieuse peuvent 1m11- quer avec précision le manient où ,
dans telle contrée ou la pratique religieuse était unanime, on a cessé de venir à l'église.
C'est aujourd'hui pour l'Eglise un devoir sacré de faire compren- dre à ceux qui ne
pratiquent point à quel point leur état est anor- mal. C'est par une escroquerie
monumentale et effroyable qu'une petite poignée d'incrédules a réussi à éloigner tant
d'hommes de toute reli- gion. Ce crime apparaît comme particulièrement grave quand on
a compris ce que nous avons dit sur l'importance de la première enfan- ce. Oui, c'est un
dommage, peut-être irréparable que, dans 800/o des familles, les enfants ne voient
jamais prier personne avant d'arriver au catéchisme. La famille est peut-être
humainement très distinguée. mais pour la vie religieuse, c'est le froid absolu —273°.
Même s'il sait un jour son catéchisme par coeur, même s'il est un jour premier à la
communion. l'enfant n'aura peut-être jamais le sens de Dieu. Ce qu'on a vu chez soi.
quand on était tout petit, a tendance à appa- raître comme normal. C'est pour les enfants
surtout que la déchris- tianisation a des conséquences désastreuses. Quand l'enfant
arrive au catéchisme, tout l'essentiel devrait déjà être acquis depuis l'origine. Or, dans
une interview que publia Panorama Chrétien de février 1968. le cardinal Feltin se plaint
de s'être trouvé devant un mur, le laïcisme, répandu parmi toute une population qui naît,
grandit et meurt sans même penser à Dieu.
LA VERTU DE RELIGION
On voit ainsi l'importance exceptionnelle que revêt la vertu de religion et, notamment,
la pratique cultuelle extérieure.
Certes, la morale catholique met en première place la foi, l'espé- rance et la charité,
c'est-à -dire les trois vertus théologales qui don- nent prise directe sur Dieu et doivent
inspirer toute la vie humaine. On (lit même aujourd'hui qu'il ne faut plus prêcher la
morale, mais bien les vertus théologales. Et il est vrai qu'il n'y a pas de morale sans
dogme.
Cependant, on peut (lire aussi qu'il ne (boit pas y avoir de dogme sans morale et les
hommes qui semblent les plus absorbés uniquement en Dieu sont aussi les plus attentifs
à surveiller de tout près les moin- dres détails de leur vie.
23 •
Or, les vertus morales s'organisent autour de quatre vertus plus importantes, pion
appelle cardinales parce que toute l'activité de l'homme tourne autour d'elles comme
une porte tourne sur ses gonds. Et tout le monde cannait la justice, la prudence, la force
et la tempérance.
La vertu de religion, dont nous parlons ici, relève de la vertu de justice. parce qu'elle
nous porte à rendre à Dieu le culte qui lui est dû . Oui, tout homme a comme devoir
fondamental un devoir de justice envers Dieu. Tout homme, du seul fait qu'il est homme,
se doit de rendre un culte à Dieu. L'union à Dieu n'est pas un luxe réservé à une élite: elle
devrait être le pain quotidien de tout homme.
Et tous les spécialistes de la morale enseignent que la vertu de religion, bien que
relevant de la justice, n'est pas seulement une vertu, morale, mais qu'elle est à cheval, en
même temps, sur les vertus morales et les vertus théologales. En effet, celui qui pratique
la vertu de religion met en œuvre sa foi, son espérance et sa charité et, si sa religion est
sincère, elle tend à gouverner peu à peu la machine entière : ceux qui sont religieux vont
à confesse et se trouvent, régulièrement, confrontés avec eux-mêmes.
Or. depuis deux siècles, de nombreuses régions se sont trouvées rongées surtout dans
leur pratique religieuse. Un formidable courant de pensée et d'action a réussi à
convaincre des multitudes qu'on peut très bien vivre sans religion.
On objecte que ce qui compte. ce n'est pas de dire : « Seigneur, Seigneur ». mais c'est
de faire la volonté de Dieu, la rectitude morale en pleine vie étant supérieure à la
pratique cultuelle. Certes. faire son devoir, aimer le bien moral, pratiquer la vertu, c'est
déjà aimer Dieu. Il est impossible d'aimer Dieu sans aimer d'abord son devoir, et goû ter
le charme de la vertu, c'est déjà goû ter le charme de Dieu. Néanmoins. pour une créature
intelligente et libre, l'idéal est de connaître et d'aimer Dieu non seulement implicitement
et dans la pratique du devoir, mais explicitement par un bel hommage formellement
exprimé. Le Christ, homme parfait, référence suprême. passait des nuits entières à prier
le Père et fréquentait assidû ment la synagogue : cet exemple divin ne peut être éludé.
Il n'y a donc aucune échappatoire : la perte de la pratique religieuse est pour
l'humanité une perte de substance et nous devons redire sans cesse q-u'elle est une
mutation historique d'une exceptionnelle gravité. Jusqu'alors, en effet, l'humanité avait
toujours été religieuse. Dans le paganisme gréco-latin, on comptait des milliers de dieux,
déesses, demi-dieux... Certes, on avait tort d'adorer tant de faux dieux, mais on avait
raison en ce sens que la divinité était intimement mêlée à toute la de. Dans chaque
maison, il y avait des statuettes: les enfants avaient toujours vu prier leurs parents : le
sens de Dieu était éveillé en eux. De même, dans l'animisme africain ou
• 24
II
dans l'hindouisme d'aujourd'hui, le sens du sacré est normalement éveillé parce que
les pratiques cultuelles sont constamment évidentes. Au contraire, le sens du sacré
s'étiole dans les immenses multitudes où la pratique religieuse est inexistante.
Ce que nous avons dit sur réveil du sens de Dieu dans la première enfance permet
d'éclairer ce qu'on est convenu d'appeler l'athéisme contemporain. Dans bien des cas,
les hommes ne sont pas athées. Mais, n'ayant jamais reçu d'éducation religieuse à l'â ge
requis, ne disposant par conséquent d'aucun langage pour parler à Dieu, ils se figurent
qu'ils ne croient pas en Lui.
C'est ainsi, également, que s'expliqueraient pour une part la raré faction et la fragilité
des vocations sacerdotales et religieuses. Si un enfant arrive au catéchisme à sept ans,
sans que le sens de Dieu ait été éveillé pendant qu'il apprenait à parler, il est possible
qu'il ne perçoive que trop faiblement. ou même pas du tout, l'action de l'Esprit-Saint qui,
normalement. suppose, pour aboutir, une atmosphère de foi. Les professeurs de petits
séminaires se plaignent que les enfants qui leur arrivent vers onze ou douze ans n'ont
pas le sens de Dieu. Certes, ils l'ont eu suffisamment pour entendre un premier appel,
mais pas assez pour y répondre jusqu'au bout. On dit que l'esprit de sacrifice a disparu.
Mais l'esprit de sacrifice n'a jamais existé. Ce qui existe, c'est la foi et l'amour. Une
maman qui reste toute la nuit au chevet de son enfant malade voudrait bien aller dormir;
elle reste parce qu'elle voit et aime son enfant. De même, celui pour qui Dieu a toute sa
consistance, toute son immensité, toute sa proximité, celui-là reste fidèle, quoi qu'il en
coû te. à la volonté de ce Dieu dont la présence lui est si proche et si manifeste.
L'Eglise ne cessera donc jamais de protester contre ce fait innuensément déplorable
que tant d'hommes d'aujourd'hui ont perdu, au moins apparemment. toute habitude de
prière. Et ce fait est avant tout préjudiciable aux enfants qui sont ainsi privés, au moment
où ils en auraient le plus besoin, de l'éducation religieuse qui leur serait indispensable
pour devenir des hommes dignes de ce nom. La pratique religieuse de l'adulte est
absolument nécessaire à l'épanouissement spirituel de l'enfant.
LA PASTORALE DU BAPTEME
Depuis déjà longtemps, les prêtres se rendaient compte qu'ils donnaient le baptême à
des bébés qui, pratiquement. ne recevraient guère d'éducation chrétienne. Au début de
janvier 1966, l'épiscopat français a donc publié un texte où il est rappelé que, si les
parents veulent demander le baptême pour leurs enfants, ils doivent d'abord promettre
de les élever chrétiennement.
25 •
Désormais donc, avant d'admettre un nouveau-né dans l'Eglise, on essaie d'avoir avec
ses parents un dialogue pastoral qui peut se situer quelque temps avant la naissance ou
après la naissance; on tâ che également de faire venir les parents à une réunion avec
d'autres parents pour s'assurer qu'ils comprennent bien quelle sera la suite à donner au
baptême, et ce qu'il faut entendre par éducation chré- tienne.
Actuellement, dans 80% des cas. les parents sont en toute tran- quillité de conscience
et se considèrent comme bons chrétiens parce qu'ils peuvent promettre en toute
sincérité que le petit ira un jour ail catéchisme. Oui. seulement entre la naissance et
l'entrée au caté- ellisme, il n'y aura rien. Or, un enfant de sept ans est déjà un vieil- lard et
la vie humaine est un drame, fortement lié, où les premières influences reçues
continueront à jouer, mystérieusement, inconsciem- ment. Au fond, la pastorale du
baptême. c'est ce qu'il faudra faire entre zéro et quatre ans, puis entre quatre et sept ans.
La pastorale est, pour un prêtre, l'art de s'occuper de son trou- peau. La pastorale du
baptême est donc l'art de s'occuper des jeunes foyers, qui sont la part la plus vivace de la
population pendant les quatre et sept ans qui suivent le baptême des enfants.
La solution idéale est que les parents acceptent d'entrer dans un mouvement d'action
catholique et deviennent militants d'action catho- lique. Ouand les parents sont des
apô tres dans le laïcat, le problème le rédueation des enfants a des chances d'être bien
résolu. Toutefois, pour devenir militants d'action catholique, les parents ne doivent pas
attendre que leurs enfants soient finis d'élever : ils auraient ainsi le temps de venir à des
réunions. Ce serait passer à cô té de l'essentiel. Dès les tout premiers débuts de son
existence, l'enfant doit sentir que ses parents vivent dans la ferveur.
Et s'il est impossible que le père ou la mère comprennent tous les deux et en même
temps la nécessité d'être apô tres, il est souhai- table qu'on puisse obtenir l'engagement
au moins de l'un d'entre eux.
Toutefois, si les parents ne se croient pas encore capables de devenir apô tres dans un
mouvement d'action catholique, ils peuvent au moins comprendre que l'éducation
chriqienne commence au ber- ceau et que l'Evangile est fait pour la multitude. Ils
peuvent accepter de lire une brochure les aidant à prendre conscience de leur devoir le
plus fondamental. Rieti des jeunes couples, qui n'ont pour eux- mêmes aucune religion,
accepteront d'en avoir quand ils verront que, faute d'exemples reçus dès le début, leurs
enfants risquent de man- quer toujours de ce qu'il y a de plus essentiel à l'homme.
Si l'on veut une pastor9le du baptême efficace, la première chose à faire est de recréer
une liturgie familiale, c'est-à -dire qu'il faut que les époux réapprennent à prier en famille
et ceci dès le début.
• 26
Le bébé en profitera, même avant sa naissance, pendant les mois de grossesse. Le
psychisme de l'enfant au sein de sa mère est en dé- pendance étroite du psychisme
maternel. C'est pourquoi certains enfants sont seulement fils de la chair, tandis que
d'autres sont aussi fils de l'esprit.
Mais c'est surtout dans les premières années de sa vie que l'enfant bénéficiera de
l'exemple de ses parents à condition que cet exemple soit bien visible et qu'on se
souvienne à quel point l'extérieur compte beaucoup en pareille matière,
Ce que nous disons ici gagnerait à être médité par les jeunes gens et jeunes filles, au
moment où ils terminent leurs études. Ils se prépareraient ainsi à mieux mesurer les
responsabilités qui seront leurs le jour où ils fonderont un foyer. S'agissant de la
première enfance, on a tendance à mettre l'accent sur le rô le de la mère : ce sont les
hommes qui font les lois, mais ce sont les femmes qui font les hommes. Néanmoins tout
ce qu'on dit du rô le de la mère et du laboratoire maternel peut s'appliquer
équivalemment au père, dont l'exemple, à l'intérieur du foyer, aura peut-être plus de
poids.
Ce même enseignement devra être médité plus encore quand il s'agira plus
directement de préparation au mariage et dans les retrai. tes de fiancés. On ne devra pas
alors s'en tenir à des considérations générales, mais bien saisir que l'essentiel
concernant l'éveil du sens de Dieu doit être fait entre zéro et quatre ans.
Il est navrant de voir dans tant de paroisses des enfants de neuf ans qui ne se sont
jamais confessés, qu'il n'est pas encore question de faire communier et qui n'ont pour
tout dire, encore jamais eu atieun contact avec l'Eglise, ni avec Dieu.
Ces petits, si on avait pu s'en occuper quand ils avaient cinq ans, s'ils avaient pu
communier vers cinq ans et demi, on en aurait fait des merveilles. Maintenant,
qu'adviendra-t-il ? Ne sera-t-il pas trop tard ?
Un peu partout dans le monde, on considère avec douleur le manque de prêtres qui se
fait si cruellement sentir. Et l'on élabore, en tous sens, des solutions. Mais une véritable
pastorale des vocations, n'est-ce pas à ce niveau qu'elle devrait d'abord se situer ?
Certes, il ne s'agit pas de déterminer ici à quel â ge la vocation pourra se mani- fester, car
Dieu est souverainement libre d'appeler quand Il veut, même à l'â ge le plus avancé. Nous
voulons seulement redire que la foi de l'adulte peut être conditionnée par les
phénomènes de la pre- mière enfance, et que l'action de l'Esprit-Saint, dont les touches
sont infiniment délicates, suppose, selon les voies ordinaires de la Provi- dence, une
atmosphère de foi.
27 •
f'
QUELQUES REALISAT1ONS
1° Mgr Guerry, ancien archevêque de Cambrai, avait fondé, quand il était à Grenoble,
les Petites Soeurs des Maternités Catholiques, dont la maison-mère est à Jallieu, dans
l'Isère. Le principe de ces maternités est très simple : accueillir la jeune mère, au
moment de la naissance, dans une clinique, où , en même temps qu'elle est assurée de
tous les soins désirables, elle peut faire une retraite spirituelle et méditer dans la foi sur
ses responsabilités pour la suite à donner au baptême de son enfant.
Cette initiative est très intelligente, mais risquerait de ne point laisser de traces assez
durables si les parents n'étaient pas animés dune véritable intention de persévérer.
90 Dans certaines régions. après la naissance d'un bébé, la paroisse envoie, chaque
année. à la famille, une lettre au jour anniversaire du baptême. où il est dit en substance :
(e C'est aujourd'hui le premier anniversaire du baptême de votre enfant. Nous espérons
que cet enfant, bien qu'il n'ait qu'un an, a déjà vu prier ses parents a. Et l'on recommence
chaque année, en variant la formule, jusqu'à l'entrée au catéchisme.
Là encore, cet effort est à encourager. Mais ceux-là même qui l'entreprennent avouent
III 'une lettre par an à des gens qui ne viennent jamais à la messe, e cst un lien
extrêmement ténu avec l'Eglise. Car l'éducation de la foi ne peut se faire de façon furtive.
La pastorale est une question de contact. à la fois doux, intime, profond et prolongé.
30 Une vieille amie de Mme Montessori. Mlle Adèle Costa. Gnocchi, morte à Rome en
mars 1967. avait fondé dans la capitale italienne un Centro Nascita, centre de la
naissance, centre d'accueil au nouveau-né. Il s'agit d'une organisation désirant aider les
familles avant, pendant et après la naissance d'un bébé.
Car, pour un être humain, venir au monde et voir le jour est un événement
considérable. Supposons une grossesse normale : pour l'enfant, c'est la vie rêvée.
Température constante, aucun effort à faire. pas même pour respirer. Tout à coup. il faut
sortir de là . par un passage extrêmement étroit. Vous êtes trituré et saisi par de grosses
mains maladroites, vos poumons doivent se développer soudain et vous devez
maintenant respirer par vous-même. De plus, vos yeux, habitués à la plus totale
obscurité, sont frappés par la lumière, ce qui est violent s'il s'agit de la lumière
artificielle du scialitique : c'est ce qu'on appelle voir Te jour. On comprend qu'en de tels
instants aucune précaution n'est superflue. Car on pourrait être marqué pour la vie par
une fausse manœuvre. D'autant plus qu'on ne manquera pas de vous piquer avec une
épingle double et que personne ne comprendra pourquoi vous protestez.
• 28
Mme Montessori. qui était médecin, avait mis au point quantité de conseils très
précieux en des circonstances aussi capitales. On recommande, par exemple, que le lit de
bébé soit assez bas, presque au ras du sol, pour qu'on n'ait pas besoin d'attacher l'enfant
et, que le jour venu, il puisse se lever et se coucher sans l'aide de personne.
J'ai vu Mlle Costa-Gnocchi sur son lit de mort. Ce jour-là , je l'ai écoutée pendant deux
heures. C'est un des souvenirs marquants de ma vie. Tout à coup. son visage s'est
illuminé. Car elle se mettait à parler de la destinée surnaturelle de ce petit être pourtant
si fragile et c'est cela qui était beau par-dessus tout. Par le baptême, le bébé devient
porteur de vie divine. On ne saurait donner à cette affirmation trop de relief : peur Mme
Montessori et ses disciples, l'essentiel de l'éducation consiste à aider la vie et clone à
favoriser l'épanouissement de cette vie divine. Là se trouve la raison profonde et l'expli-
cation dernière du Centro Nascita : faire en sorte que le baptême ait sa suite normale. Là
est la véritable pastorale du baptême. Encore une fois, la pastorale du baptême. c'est ce
qu'il faut faire dans les quatre ans qui suivent le baptême. C'est pourquoi on doit
souhaiter à tout enfant qui vient au monde une famille où la foi forme avec la race une
seule et même institution.
REPONSES A QUELQUES DIFFICULTES
Quand ils entendent affirmer avec force l'importance capitale de la première enfance,
un certain nombre d'esprits éprouvent quelques dificultés auxquelles nous devons
répondre.
Tout d'abord, ceux qui doivent diriger des adultes, à quelque titre que ce soit. se
rendent compte immédiatement que tout n'est pas résolu par une première enfance
réussie. De même, les parents ou éducaleurs qui sont aux prises à longueur d'année avec
des adolescents ou des jeunes gens ont beaucoup de mal à voir que ce qui compte ce
sont les premiers sept ans : ce qui compte pour eux, ce sont des jeunes gens de quinze ou
vingt ans dont ils sont actuellement chargés.
Par ailleurs, tous les penseurs d'aujourd'hui sont très soucieux de rendre hommage à
la liberté de l'homme et à l'éminente dignité de la personne humaine. Ils considèrent
donc comme suspect de profiter de hi faiblesse d'un enfant pour lui inculquer la foi; et
s'il est permis de songer au bien d'un enfant, c'est à leurs yeux en passant d'abord par
ses parents.
Il nous faut donc expliquer davantage ce qu'on entend quand on dit qu'un enfant de
quatre ans est achevé d'imprimer. Nous le ferons en donnant mie vue d'ensemble des
influences très nombreuses et parfois très lourdes qui pèsent sur la liberté.
Nous savons que nous allons vers notre destin par des actes libres, car on appelle
justement acte humain un acte libre. Nous sommes
29 •
libres, en principe, tant que notre raison fonctionne, l'exercice de la liberté étant lié à
l'exercice de la raison. Mais, sur cette liberté de prin- cipe pèsent des poids parfois
énormes par suite d'influences diverses.
Il y a, par exemple. l'hérédité, c'est-à -dire ce qu'on reçoit à la naissance en bien ou en
mal. Ainsi tout homme est libre, en prin- cipe, de devenir docteur en philosophie ou de
se présenter à Normale Supérieure. En fait, certains ont trouvé si peu dans leur corbeille
de naissance, qu'ils ne pourront guère y prétendre.
Il y a l'ignorance. Tout homme, en principe, est libre d'adhérer au Christ et à l'Eglise.
Mais l'Africain ou l'Asiatique, qui n'a jamais eu contact avec la Révélation peut. certes,
faire son salut éternel, mais ne peut demander un baptême dont il n'a jamais entendu
parler.
Il y a l'erreur. Un Musulman est libre, en principe, de se conver- tir au Christ et à
l'Eglise. Mais il est tellement persuadé que l'Eglise catholique ne représente pas la bonne
solution que, même s'il vient habiter Paris et échappe à l'emprise de son milieu, il aura
sans doute bien du mal à demander le baptême.
Il y a l'habitude. En principe, un alcoolique est libre de décider que, désormais, il boira
de l'eau. En fait, c'est une vraie montagne à soulever. la plus lourde hérédité d'un homme
ou la plus heureu- se, c'est son propre passé. On dit qu'un enfant de quatre ans est
achevé d'imprimer, comme on dit « Qui a bu boira »,
Il y a la pression sociale, l'influence du milieu, la mode.
C'est sans doute l'un des poids les plus lourds qui pèsent sur la liberté, car la mode est
la pire des dictatures, qu'elle soit vestimen- taire, artistique, métaphysique ou autre. Et il
est très difficile d'échap- per aux idées régnantes dans un milieu donné, ou plus
simplement d'échapper à l'accent du terroir.
Or. quand la pression sociale s'exerce dans l'enfance, on l'appelle éducation. Et dans
l'éducation. on distingue une période de création ou constitution de l'être et une période
de simple développement. On comprendra par exemple que la période intra-utérine et
les pre- mières enfances jouent un grand rô le dans la constitution du cerveau les
influences alors subies sont déterminantes.
Les recherches du dernier demi-siècle ont mis en relief l'impor- tance des premières
années dans le destin de l'homme. Nous avons simplement voulu rappeler que. ce qui est
vrai, par exemple, de la santé, l'est aussi pour la vie spirituelle. Une lésion cérébrale
provo- que la paralysie: (Inc première enfance manquée peut paralyser cer- taines
activités de l'adulte.
Le sens de Dieu existe profondément en tout homme du seul fait qu'il est esprit et
donc qu'il conçoit et désire le bonheur. Mais, ce sens de Dieu, comme tout ce qui est dans
l'homme, réclame une éducation appropriée et qui vienne à l'â ge requis. L'être humain
qui arrive au inf)nde est essentiellement en devenir : ses premières années
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-7
conditionnent profondément tout son destin; c'est l'éducation qui fait la race. Le
mystère de l'enfance s'identifie au mystère de l'éducation. Et le sens de Dieu, qui est ce
qu'il y a de plus profond dans l'hotu- me, n'échappe pas à cette loi générale; comme tout
dans l'homme il a besoin d-éducation.

CONCLUSION
Jésus voit dans les enfants l'exemple suprême : « Le royaume des cieux est à qui leur
ressemble. En vérité, je vous le dis, celui qui ne recevra pas le règne de Dieu comme un
enfant, n'y entrera pas » (Luc, 17, 18). La leçon que donne ici Jésus est très profonde;
pour la comprendre, il faudrait savoir ce qu'est la grâ ce et la gratuité du salut. Le tout
petit bébé ne peut rien pour lui-même, il doit s'en remettre totalement, avec une entière
confiance, à ceux qui prennent soin de lui, pour l'heure et le contenu des biberons, la
température ambiante, les vêtements qu'on lui met, la langue qu'on parle autour de lui
et qu'il adoptera, l'orientation que son milieu imprime à sa destinée. De même, pour son
salut éternel, tout homme est impuissant, car nul ne peut voir Dieu face à face : nous
devons done attendre le salut en nous abandonnant avec confian,ce entre les mains de
Dieu, comme un bébé est bien obligé de faire confiance. C'est la loi de la vie, qu'on
appelle aussi loi de l'enfance spirituelle.
Ce n'est donc point chose petite que de s'occuper de la première enfance : « Voyez à ne
pas dédaigner un seul de ces petits, car je vous dis que leurs anges dans les cieux
contemplent constamment la face de mon Père qui est dans les cieux... Ce n'est pas la
volonté de votre Père qui est dans les cieux que périsse un seul de ces petits » (Math., 18,
10-14). Evangéliser la première enfance. c'est-à -dire les jeunes foyers, est done tà ehe
sublime.
L'Evangile sait bien, en effet, que la famille qui donne la vie transmet aussi la foi. Jésus
ayant guéri à distance le fils d'un forie• tionnaire de la cour qui était malade à
Capharnaü m. cet homme crut, lui et toute sa famille (Jean, 4, 53). C'est la voie normale. Il
en est encore ainsi de nos jours. Les quatre fils de Maurice Thorez
31 •
sont athées parce qu'ils ont baigné dans une ambiance où il n'était jamais question de
Dieu. De même, il est normal qu'une famille chré tienne transmette le plus précieux des
biens qui est la foi.
Dans une toute petite paroisse rurale. une petite fille de cinq ans avait la maladie
bleue et l'on craignait sa mort d'un instant à l'autre. M. le Curé eut l'idée de donner à la
maman un livre permettant de préparer l'enfant à sa première communion pour qu'elle
ne meure pas avant d'avoir reçu l'Eucharistie. La maman se mit à rceuvre avec tout
l'amour que l'on devine. L'enfant communia vers cinq ans et demi et mourut avant six
ans. On a imprimé une image mortuaire pour conserver quelques paroles prononcées
par cette enfant. Un jour qu'elle était plus mal, on lui montrait le crucifix, elle répondit : «
Je le regarde souvent... Comme il veut... Mais ça fait mal quand même ! » En la préparant
à l'Extrême-Onction, qu'elle reçut. on lui demanda s'il fallait prier pour sa guérison ou si
elle préférait aller au ciel. elle. dit : « Il ne faut rien demander à Jésus: il faut Le laisser
faire. » La veille de l'opération, comme sa maman évoquait Jésus souffrant, elle fit cette
dernière prière : « Oui, comme vous voudrez, petit Jésus. » Bref, cette enfant de cinq ans
et demi avait des paroles comme en ont les saints sur leur lit de mort. Eh bien! ce qu'on a
fait pour une petite fille de cinq ans dont on craignait la mort, toutes les familles ne
devraient-elles pas le faire pour les enfants du même â ge dont nous espérons la vie ?
L'Eglise a toujours su quelle est l'influence de la famille. Le récent Concile Vatican II.
dans sa déclaration sur l'éducation chré tienne. dit que la découverte de Dieu doit se faire
« a prima aetate )), dès la première enfance. Ces quelques mots ont été ajoutés quand le
rédacteur de ce texte a su ce qui se passe à l'Ecole Montessori de Rennes.
Du reste, cette brève indication conciliaire ne fait que reprendre le Directoire de
pastorale catéchétique à l'usage des diocèses de France, tel qu'il a été publié en 1964,
sous l'autorité de Son Excellence Mgr Ferrand, archevêque de Tours. Selon ce Directoire,
« la personnalité future de l'adulte étant préformée dans les acquisitions fondamentales
du tout petit, il importe que Dieu soit présent à son univers ». Le Directoire pense que.
même les tout petits du milieu déchristianisé. peuvent être atteints par l'effort
d'évangélisation, et il cite l'école chrétienne parmi les moyens de tendre à ce résultat.
Pour terminer, nous voulons évoquer à nouveau la Sainte Famille où sainte Anne et
saint Joachim élevèrent la Sainte Vierge qui, avec l'aide de Joseph, éleva à son tour
l'Enfant Jésus. deux éducations qu'on peut considérer comme réussies. Puissent toue les
parents vouer un culte à la Sainte Famille qui les aidera à suivre la même voie.
PIERRE CAILLON,
Grand Séminaire, Sées (Orne).
Faut-il rappeler à des chrétiens que c'est d'abord dans la famille que se joue l'avenir
religieux de leurs enfants ?
La religion n'est pas seulement un ensemble de notions et de règles, dogme et
morale : elle est la vie de l'â me et cette vie se communique plus qu'elle ne s'apprend.
Dans une demeure chrétienne la foi rayonne et transforme tous les gestes ; elle leur
ajoute un sillage spirituel.
L'enfant à qui l'on apprend de bonne heure les gestes et les mots de la prière ne
souffre aucune atteinte dans sa future liberté d'homme ; on ne plaque pas sur lui un
vernis, on ne le lie pas d'invisibles chaînes. On nourrit son â me, on lui fait respirer un air
chrétien. Il est à l'abri des préjugés, des méprises, des durcissements. Les crises, les
révoltes ne lui seront peut-être pas épargnées. Il faut muer pour grandir, pour atteindre
à la religion personnelle, pour se « convertir ».
Mais sans vie religieuse familiale, une pédagogie de la foi risque d'être toujours
boiteuse.
Roger PONS,
(L'Anneau d'Or).
Notre-Dame de la Trinité Revue mensuelle - No 733 - Septembre 1968

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