Simon Fabiani
Simon Fabiani (ou Simone Fabiani), né le à Santa-Reparata-di-Balagna et assassiné le à Orezza, est un politique et général corse, considéré comme « héros de l'indépendance corse »[1], membre de la famille Fabiani reconnue noble en 1774 par la couronne de France ("noble au-delà de 200 ans")[2]. Il fut assassiné par des Corses, sur ordre de Gênes, avec l'aide de la famille Luccioni (dont Théodore avait fait exécuter un membre qui avait livré Porto-Vecchio et tentait d'attirer Théodore dans un traquenard afin de le livrer aux Génois). Les Luccioni n'avaient rien dit et, pour se venger de Théodore, ils firent assassiner Fabiani qui n'avait strictement rien à voir avec la mort de leur parent[3].
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Biographie
modifierLe général Simon Fabiani joua un rôle non négligeable au cours de la première révolution corse[4] du XVIIIe siècle. Sa position sociale et ses racines géographiques, mais aussi sa personnalité hors du commun y contribuèrent largement. Sa disparition tragique laissa le roi inconsolable[5] et fut aussi une des causes de l'affaiblissement précipité d'un projet par ailleurs gravement compromis dès l'origine.
Sa critique cinglante du régime des Nobles Douze, auquel sa famille participait pourtant depuis des décennies, marqua l'un des premiers signes actifs de la révolte des élites contre la domination génoise. En s'attaquant à ce système qui profitait à la fois à l'aristocratie insulaire et à la domination génoise, Fabiani sapait les bases d'un pouvoir qui ne tenait réellement que par quelques présides (Bastia, Bonifacio, Calvi) et une capacité d'incursion lui permettant de lever l'impôt, souvent manu militari[6]. Ainsi, lors des élections de 1730, Fabiani s'écria, "avec grandiloquence" précisent certains historiens[7]: "Le Prince[8] demande les élections des XII, la Corse ne veut plus des XII... qui ont assassiné la Corse"[9]. Toutes proportions gardées, ce fut l'équivalent pour la révolution corse de la fameuse formule de Sieyès[10]. Alors que les cercles dirigeants étaient à la recherche de justifications philosophiques pour contester le pouvoir en place (Gênes), ce geste de refus arrivait ainsi à point nommé[11].
Simon Fabiani contribua au succès initial de l'éphémère royaume corse de Théodore de Neuhoff. En dépit des oppositions de clans en Balagne, notamment avec les Giuliani, il apporta au roi Théodore le soutien de cette région riche et ouverte sur la mer. Ce soutien s'exprima d'abord par le contrôle d'un périmètre territorial sécurisé[12], mais aussi par une capacité de communication par la mer avec les indépendantistes corses résidant en Ligurie: les Fabiani possédaient l'un des trois entrepôts de l'Île Rousse qui fut l'un des poumons de la rébellion puis du Royaume[13]. Par son mariage avec une Raffalli d'Orezza, localité située au cœur de la révolte, Fabiani créait un lien fort entre le centre du nouveau pouvoir, isolé loin des côtes, et la riche et ouverte Balagne. Ses parents par alliance d'Orezza[14], pouvaient lui fournir des troupes supplémentaires, très utiles lorsqu'il s'est agi de conquérir certains points cruciaux tels qu'Oletta, prise par le général Fabiani. Cette parentèle hors de son terroir d'origine le reliait aussi à quelques personnages arrêtés comme lui par les Génois et, pour certains exécutés[15].
Indubitablement, l'engagement du général Fabiani, tout comme ses faits d'armes, contribuèrent aux premiers succès du roi Théodore et de ses partisans[16]. "Le héros de la Balagne", comme l'appelle Girolami-Cortona, contribua à la déroute des Génois à Biguglia[17] et fut essentiel dans la prise puis la soumission de Campoloro et de sa pieve, entraînant la reddition du représentant du pouvoir génois, don Filippo Grimaldi[18].
Il fut membre du gouvernement du roi Théodore avec le titre de capitaine général/gouverneur de la Balagne, vice-président du conseil de guerre[19] et capitaine de la garde royale[20]. Enfin, son Testament politique, publié et diffusé par les soins du chanoine Erasme Orticoni[21] immédiatement après son assassinat en 1736, qui fut considéré comme l'un des textes fondateurs du nationalisme naissant des Corses, d'abord par le consul de France, Campredon, inquiet d'une éventuelle flambée de colère des élites et populations locales[22].
La famille du nobile Simon Fabiani appartenait à la noblesse militaire corse et n'avait pas besoin de la couronne de France pour être considérée comme telle[23]. Le père de Simon Fabiani, Giovan Giuseppe, était lieutenant-colonel ; sa mère, Giovanna Malaspina, était issue d'une autre famille dominante de Balagne, considérée comme tenant son origine des anciens marquis carolingiens Obertenghi ayant régné sur la Toscane. La tradition militaire lui venait de sa lignée paternelle, remontant de manière certaine à Tiberio fils de Giovannone, "messer" et capitaine au service de Gênes, en résidence à Algajola (Balagne) au XVIe siècle. Mais il était aussi l'héritier du colonel Simone Morazzani, de Monticello, au service du grand-duc de Toscane, et de Pompilio Morazzani, capitaine de la garde pontificale dont les troupes auraient notamment été associées au fameux incident diplomatique qui affecta le duc de Créqui et sonna le glas de la garde corse du pape.
Le rôle de Simon Fabiani dans l'épopée du roi Théodore renforça son clan en Balagne et fut l'un des soubassements du parti français opposé aux partisans de Pascal Paoli. Comme quelques autres grandes familles, les Fabiani passèrent presque sans transition d'une position de révolte contre le pouvoir existant - Gênes - à un soutien sans faille à la couronne de France[24]. En filigrane, l'engagement de "l'autre Simon Fabiani", le colonel Simone de Fabiani, colonel commandant le Royal Corse à Naples, écuyer de la reine d'Espagne Elisabeth Farnèse, gouverneur aussi de la place de Barcelone. Simoncino ou Simoncello, personnage haut en couleur au verbe sonore, prit en quelques sorte la succession du général dans la conduite du clan. Bourbonien, il préparait le "parti Fabiani" à soutenir les Bourbon de France. C'est ainsi que les fils et parents du général combattirent dans le camp français lors de la bataille décisive de Ponte-Novo (), tout comme leurs alliés, notamment Boccheciampe. La réconciliation Paoli-Fabiani fut tardivement symbolisée par le mariage, le (sic) à Monticello, d'Angela Felicité de Fabiani, dite Felicina, et du colonel Felice Giudice Antonio Leonetti, neveu de Pascal Paoli, futur député à l'Assemblée législative (1792/93)[25].
Simon Fabiani est l'un des héros d'un roman de Gérard Néry[26]. Avec beaucoup de fidélité envers les sources[27], l'auteur rappelle le rôle que joua Fabiani lors des principales étapes de l'aventure du royaume corse de Théodore Ier[28]. Sur un plan plus anecdotique, ce fut lui qui eut l'idée d'utiliser une couronne de laurier, "à l'antique", pour couronner le roi. Son arrivée sur le lieu du couronnement, en compagnie d'Arrighi, est aussi restée dans les annales, tant les Balanins se firent remarquer par leurs salves en l'honneur du nouveau monarque. Gérard Néry, qui relève à juste titre que "Fabiani était châtain clair", échafaude l'hypothèse invérifiable d'une confusion avec le roi d'origine westphalienne. Au-delà du romanesque de la situation, c'est dire la place qu'occupait le général auprès du roi[29].
Bibliographie
modifier- F. Girolami-Cortona, Histoire de la Corse, Librairie marseillaise, réédition de 1971
- Histoire de la Corse, publiée sous la direction de Paul Arrighi, Privat éditeur, collection d’histoire régionale « l’univers de la France », 1971 (Fabiani, famille de Balagne, p. 265 et 323 ; Fabiani (Simon) : p. 320, 32, 334, 351) [NB : dans un ouvrage grand public, autant de mentions que Jacques-Pierre Abbatucci, qui a sa notice dans Wikipedia]
- Michel Vergé-Franceschi, Histoire de Corse du XVIIe siècle à nos jours, préface d’Emmanuel Le Roy Ladurie, éd. Le Félin Kiron, 2007 (« Fabiani (Simon, comte), lieutenant-général du Royaume de Corse » : tome II p. 307-308 : « Neuhoff organise rapidement son gouvernement : (…). Il crée une noblesse titrée : (…) Simon Fabiani, comte, peu avant d’être assassiné à Stazzone d’Orezza (1736). (…) Il forme une armée, nomme (…) Simon Fabiani, lieutenant général du royaume et capitaine général de la Balagne).
- Sébastien Costa : Mémoires de Sébastien Costa, grand chancelier du roi Théodore, édition critique, traduction et notes par Renée Luciani, agrégée de l'Université (index au nom de Simon Fabiani: tome I : p. 30, 132, 218, 219, 236-240, 256, 267, 268, 270, 310, 367, 360, 374, 412, 414, 420, 480, 490, 494, 502-508, etc 526-530, etc 766-776, 816-822, 832-836, etc 852-856, etc 872-876, etc; tome II : p. 28, 66, 68, etc 130-138, etc 288-302, etc 428-450, etc).
- André Le Glay, Théodore de Neuhoff, roi de Corse, Monaco-Paris, éd. Picard, 1907, puisant dans les archives secrètes de Gênes, les archives de Monaco, etc. (cite aussi abondamment le général Fabiani), ainsi que dans les correspondances et documents publiés par l'abbé Letteron.
- Antoine-Marie Graziani : Le roi Théodore, Tallandier, 2005.
- Jean-Baptiste Nicolai, Vive le roi de Corse, Notes et documents sur le règne de Théodore de Neuhoff, suivis de son testament politique, éditions Cyrnos et Méditerranée, Ajaccio, 1981 [notamment, texte intégral de l’édit de Théodore 1er du ; sont exclus du « pardon » accordé : « les infâmes sicaires du feu notre très-aimé général comte Simon Fabiani d’estimable mémoire »].
- Michel Vergé-Franceschi, Paoli, un Corse des Lumières, Fayard, 2005 (ISBN 9782213648668) (nombreuses références).
- Evelyne Luciani, Louis Belgodere, Dominique Taddei : Trois prêtres balanins au cœur de la révolution corse, Bonfigliuolo Guelfucci, Erasmo Orticoni, Gregorio Salvini, éd Alain Piazzola, 2006 (p. 256 : « l’émouvant « testament politique de Simone Fabiani », qu’il [Erasmo Orticoni] rédige et diffuse en 1736, juste après son assassinat ».
- Horace Fabiani: Souvenirs d'Algérie et d'Orient, Paris, E. Dentu éditeur, Libraire de la Société des Gens de Lettres, 1878 (Ouvrage en ligne (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103757j.image.r=FABIANI.f162.hl). Bien que non rattaché à la famille du général, cet auteur, de la lignée des éditeurs-libraires de Bastia, se réfère avec emphase au "héros négligé", p. 158: "Nos histoires sont remplies des hauts faits de Ceccaldi et de Giafery, de Paoli et de Gaffory, mais elles ont trop oublié Simon Fabiani, l'associé d'Hyacinthe Paoli pour le redressement des griefs de la Corse, général de la nation en 1735 (sic), assassiné par des sicaires de la république ligurienne". Note : "l'historien Renucci lui rend quelque justice". Cette allusion sibylline pourrait refléter la croyance en un rattachement à la famille du général Fabiani.
Notes et références
modifier- Colonna de Cesari Rocca, Armorial corse, p. 32; Vingt chapitres de l'histoire de Monticello, p. 283
- Noblesse de la Famille Fabiani de Balagne, Arch. Dép. Ajaccio, I B 21, no 38, cité partiellement p. 19-20 et 43, in Lettres de Marie Mattei à Théophile Gautier et à Louis de Cormenin, Eldon Kaye, université de Carleton, Ottawa, Literary Criticism, édité pat Librairie Droz, Genève, 1972
- André Le Glay, Théodore de Neuhoff, roi de Corse, Imprimerie de Monaco, 1907.
- Ce personnage est évoqué par diverses histoires de Corse, même très générales et destinées au grand public et par la presque totalité des travaux relatifs à Pascal Paoli et au royaume de Théodore Ier (cf. bibliographie infra)
- Suivant Costa, Nicolai, etc. , Théodore a constamment exclu ses assassins de toute amnistie
- Cette situation est mise en scène de manière très pittoresque par Gérard Néry dans Santa et le roi de Corse (voir bibliographie)
- cf. Trois prêtres balanins..., p. 51
- lire : "les Génois"
- Cf Costa, Vergé-Franceschi, Taddei in Trois prêtres balanins..., et bien sûr G. Néry
- "Qu'est-ce que le Tiers État"
- Le fameux Disinganno du chanoine Giulio Matteo Natali ne parut qu'en 1736, année de la création et de la fin du royaume de Corse, tout comme de l'assassinat de Simon Fabiani. La contribution des théologiens à la nouvelle philosophie fut essentielle - cf. encore Trois prêtres balanins..., notamment les chapitres relatifs à l'abbé Don Gregorio Salvini
- Cf. les visites qu'effectua le roi en Balagne, notamment à Monticello, l'une des places fortes des Fabiani évoquées par le grand chancelier Costa dans ses Mémoires et reprises dans Trois prêtres balanins...
- Cf. notamment Trois prêtres balanins...
- Enumérés par les chroniqueurs, notamment Sebastien Costa: Castelli, Campodonico, etc
- Cf. Cardi et d'autres évoqués par M. Vergé-Franceschi (références précises suivront)
- F. Girolami-Cortona, Histoire de la Corse, Librairie marseillaise, réédition de 1971, p. 255, 265, 266, 271, 272, 281, 293, 296, 300, 302, 303.
- Op. cit. p. 272
- Op. cit. p. 281-282
- Petru Antoni, Corse de la Pax romana à Pascal Paoli, ed. L'Harmattan, 2009, (ISBN 9782296601376)
- Joseph Adrien Félix Lavallée, L'Univers pittoresque ou histoire et description de tous les peuples, de leurs religions, mœurs, coutumes, vol.30 ,p. 130, éd. Firmin Didot frères, 1847
- que l'on considère souvent comme le très probable coauteur du texte comme le rappelle notamment le dernier travail monumental sur ce fin diplomate (cf. bibliographie : Trois prêtres balanins etc)
- Cf. sa correspondance conservée aux archives des Affaires étrangères, fonds Gênes. L'un des rares originaux du texte imprimé se trouve ainsi dans ces archives
- Des précisions très éclairantes sont apportées à ce sujet dans l'article Noblesse corse de Wikipedia
- Toute la littérature traitant de cette période se fait l'écho de cette situation, à commencer par les Mémoires du chancelier Costa, doctement commentés par Renée Luciani, agrégée de l'Université, mais aussi M. Vergé-Franceschi dans son ouvrage sur Paoli, Trois Prêtres balanins, etc. Si l'on souhaite comprendre mieux les subtilités de cette situation, on peut aussi se reporter à la Correspondance de Pascal Paoli, en cours d'édition chez Piazzola (cinq tomes parus): non seulement les deux Simon, mais aussi Fabianino - Giuseppe Maria, fils aîné du général - comme l'appelle Paoli avec des sentiments mêlés d'affection et de dédain
- Cet événement est notamment évoqué dans Vingt chapitres de l'histoire de Monticello, p. 147 ss, mais aussi dans Trois Prêtres balanins
- Gérard Néry : Santa et le roi de Corse, éd.Trévise, 1978, (ISBN 2-7112-0286-0), notamment p. 250-251 : évocation romancée de son assassinat.
- Il a de toute évidence consulté l'ouvrage de référence, de Le Glay
- Cf. supra : rôle non seulement militaire, renforcé par la combinaison d'un grand clan de Balagne et d'un autre clan dominant en Castagniccia ; mais aussi participation au courant de la révolte et vision politique au profit de l'émancipation de l'île (cf. le Testament politique)
- op. cit. p. 250-251 et 284