Institut de sexologie

institut allemand de sexologie, 1919-1933

L'Institut de sexologie (Institut für Sexualwissenschaft) de Magnus Hirschfeld est un organisme privé à Berlin, ouvert le et vandalisé le 6 mai 1933 dans le cadre des autodafés et pillages de 1933 par les nazis.

Institut de sexologie
illustration de Institut de sexologie

Création Voir et modifier les données sur Wikidata
Disparition Voir et modifier les données sur Wikidata
Fondateurs Magnus HirschfeldVoir et modifier les données sur Wikidata
Coordonnées 52° 31′ 08″ N, 13° 21′ 55″ E
Directeurs Magnus HirschfeldVoir et modifier les données sur Wikidata

Unique au monde à l'époque, c'était un centre de recherche scientifique, médical et d'accueil. Spécialisé entre autres dans l'étude des transidentités, des soins d'affirmation de genre y ont été développés. Lieu important de la communauté LGBTQIA+ berlinoise, de nombreuses personnes s'y rendaient pour des conseils (sur l'avortement, la grossesse ou les maladies sexuellement transmissible), y vivre, y travailler mais aussi pour des fêtes[1].

Historique

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En créant cet institut, Hirschfeld, étant médecin et réformateur de sexologie engagé depuis la fin du XIXe siècle, a réalisé un rêve personnel : contribuer à la mise en place de l'institutionnalisation de la sexologie malgré les voix critiques (notamment du côté de la science) et assurer une protection juridique ainsi qu'une sécurité financière à la « promotion de la recherche scientifique de l'ensemble de la vie sexuelle et l'information sur ce territoire. »

 
Plaque commémorative dans le parc Tiergarten à Berlin.

L'institut était révolutionnaire et un lieu unique dans ses fonctions, jusqu'après la Seconde Guerre mondiale

Le 6 mai 1933, 14 000 ouvrages sont volés, selon l'auteur ou l'autrice d'un article de l'hebdomadaire français Voilà n°119, dans lequel Hirschfeld avait été interviewé la même année[2]. Mais d'après Zavier Nunn, on parlerait plutôt de 20 000 ouvrages.

Ce que les nazis n'ont pas brûlé le sur la place de l'Opéra (aujourd'hui Bebelplatz) à Berlin et ce qui n'a pas été vendu en par le bureau de contribution de Berlin a été perdu lors du bombardement de Berlin à la fin de la Seconde Guerre mondiale.

 
Le 10 mai 1933, les nazis brûlent des œuvres d'auteurs juifs, la bibliothèque de l'Institut de sexologie et d'autres œuvres qui étaient considérées « non-allemandes ».

Structure et organisation

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L'institut était un lieu de recherche scientifique, mais prodiguait également des conseils et permettait de faire des examens médicaux[1]. Étant une archive de collecte, de tri et de traitement, ainsi qu'un musée de la démonstration de publications de sexologues et autres documents pertinents de toutes sortes, il a été un pôle d'attraction dans le Berlin des années folles.

Il servait de lieu de formation de médecins, de lieu de conférences, même si Hirschfeld et Arthur Kronfeld sont aussi intervenus dans de nombreuses universités et autres établissements d'enseignement de Berlin et au-delà. Il a joué un rôle non négligeable dans l'organisation d'activités novatrices en sexologie.

Bâtiment et salles

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L'institut se situait au croisement du 3, Beethovenstraße et 10, In den Zelten ; le bâtiment était originellement la « Villa Joachim », construite en 1871-1872 pour le professeur de musique Joseph Joachim. De 1910 à 1919, il fut transformé en « Palais de Ville » par le prince von Hatzfeld. Hirschfeld acheta le bâtiment au prix de 400 000 marks. En 1921, l'édifice fut agrandi : le restaurant voisin Luisenzelt est transformé en salle de conférence, nommée d'après le biologiste Ernst Haeckel[3].

Le rez-de-chaussée accueillait un musée (dirigé par Karl Giese), les chambres privées de Magnus Hirschfeld et Karl Giese, des cuisines et salles pour se restaurer, des chambres pour les visiteurs, et un petit amphithéâtre. À l'étage se trouvait le matériel médical (rayons X, électrolyse, etc.). Au grenier se trouvaient des chambres où étaient détenus des criminels en attente de procès, pour qui l'Institut était une alternative à la détention provisoire. Dans le bâtiment d'à côté se trouvait la salle de conférence Ernst Haeckel[4]. Sur la façade de l'Institut était inscrite une devise en latin : « Amori et dolori sacrum » (« Consacré à l'amour et à la souffrance »)[5].

À l'institut se trouvait aussi un « Mur de l'Androgynie », qui exposait des photographies de personnes intersexes, travesties ou homosexuelles ; par exemple Willi Pape, la comtesse Dina Alma de Paradeda, et Annie Jones, la « femme à barbe de Barnum »[6].

L'Institut est pillé par des étudiants nazis le 6 mai 1933 ; depuis, le bâtiment a disparu. Une plaque commémorative, inaugurée près de l'ancien site de l'Institut Hirschfeld le , 75 ans après sa création, rend hommage au lieu.

Personnel et locataires connus

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Personnel médical

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Magnus Hirschfeld fut directeur de l'Institut, de sa fondation jusqu'à sa destruction. Un des cofondateurs de l'Institut, le psychologue Arthur Kronfeld, y travailla jusqu'en 1926[7]. Karl Giese était le directeur du musée de l'Institut[8].

Bernard Schapiro était endocrinologue et dermatologue à l'Institut ; Felix Abraham dirigeait le département de la recherche sexo-légale à partir de la fin des années 1920[9] ; Karl Besser officiait comme graphologue[10]. Ludwig Levy-Lenz y était chirurgien[11].

Personnel d'entretien et d'administration

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L'Institut employait des femmes transgenres, parce qu'il était presque impossible pour elles de trouver du travail ailleurs ; ainsi, Toni Ebel et Dora Richter furent employées comme personnel de maison, et Charlotte Charlaque comme interprète et standardiste. Toutes trois furent opérées sous l'égide de l'Institut.

Adelheid Schulz y fut domestique de 1928 à 1933[12].

Locataires

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Christopher Isherwood loua une chambre à l'Institut entre décembre 1929 et octobre 1930[13].

Recherche et consultations

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Chaque semaine, Hirschfeld organisait des « soirées questionnaire », au cours desquelles le public pouvait se présenter à l'amphithéâtre Ernst Haeckel et remplir le questionnaire psycho-biologique (« Frageboged »), qui contenait 137 questions portant sur l'hérédité, l'enfance et la jeunesse, les caractéristiques physiques, les caractéristiques psychiques et les tendances sexuelles. Plusieurs milliers de ces questionnaires renseignés étaient conservés à l'institut[14],[6].

Hirschfeld organisait également des consultations à destination des couples hétérosexuels, qui pouvaient venir et poser des questions à propos du mariage, de l'éducation des enfants, de l'amour, du sexe et de l'avortement. De tels services furent salués par Margaret Sanger, fondatrice du Planning familial[6].

Pionniers dans la question de la transidentité

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Magnus Hirschfeld a forgé le terme de transsexualité[15], identifiant la catégorie médicale que son collègue Harry Benjamin développera plus tard aux États-Unis. Il y avait des personnes transgenres parmi le personnel de l'institut ainsi que parmi les clients, comme Charlotte Charlaque (interprète et standardiste), Toni Ebel et Dora Richter (cuisinière)[16]. Des interventions chirurgicales et endocrinologiques étaient proposées, incluant les premières interventions de chirurgie de réattribution sexuelle à partir de 1930.

Hirschfeld a également collaboré avec la police de Berlin, créant un « laissez-passer de travesti » pour les personnes désirant porter des vêtements associés à un autre genre que celui attribué à leur naissance, afin d'éviter qu'elles soient systématiquement arrêtées ou soupçonnées de prostitution[17],[18].

Références

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  1. a et b Pauline Petit, « L'histoire de l'Institut de sexologie détruit par les nazis », sur France Culture, (consulté le )
  2. « Voilà n°119 - VOILAsurlenet », sur collections.museeniepce.com (consulté le )
  3. « Chronologie der Institutsgebäude », sur www.magnus-hirschfeld.de (consulté le )
  4. « On the Clinics and Bars of Weimar Berlin », sur www.trickymothernature.com (consulté le )
  5. Rainer Herrn, Der Liebe und dem Leid: das Institut für Sexualwissenschaft, 1919-1933, Suhrkamp, (ISBN 978-3-518-43054-5).
  6. a b et c « On the Clinics and Bars of Weimar Berlin », sur www.trickymothernature.com (consulté le )
  7. « Arthur Kronfeld (1886-1941) », sur www.magnus-hirschfeld.de (consulté le )
  8. (de) Raimund Wolfert, Charlotte Charlaque: Transfrau, Laienschauspielerin, "Königin der Brooklyn Heights Promenade", Hentrich & Hentrich, (ISBN 978-3-95565-475-7, OCLC on1286534661, lire en ligne), p. 35
  9. [1]
  10. (de) Baumgardt, Manfred, « Kaffeerunde mit Adelheid Schulz », Schwule Geschichte, vol. 7,‎ , p. 4-16
  11. « Neu entdeckt: Ludwig Levy-Lenz‘ Grab in München », sur www.magnus-hirschfeld.de (consulté le )
  12. « Adelheid Schulz, Hauswirtschafterin », sur www.magnus-hirschfeld.de (consulté le )
  13. (en) Christopher Isherwood, Christopher and his kind, Vintage Books, coll. « Vintage classics », (ISBN 978-0-09-956107-1), p. 14, 49-51
  14. Pierre Najac, « L'Institut de la Science Sexuelle à Berlin », dans Vénus et Mercure, Paris,
  15. (en) Ekins R., King D., Pioneers of Transgendering : The Popular Sexology of David O. Cauldwell., (lire en ligne).
  16. « On the Clinics and Bars of Weimar Berlin », sur www.trickymothernature.com (consulté le )
  17. (en) Beachy, Robert, Gay Berlin : Birthplace of a Modern Identity, Knopf Doubleday Publishing Group, , 352 p. (ISBN 978-0-307-47313-4 et 0-307-47313-9)
  18. (en) « Between World Wars, Gay Culture Flourished In Berlin », sur npr.org, .

Voir aussi

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Bibliographie

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Documentaire

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Benjamin Cantu (Réalisateur). « Eldorado: Le cabaret honni des nazis ». Film Base Berlin. 2023.

Sources historiques

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« L'Amour et la Science par le Docteur Magnus Hirschfeld, directeur de l'Institut de Sexualité de Berlin »[1]. Voilà n°119. Gallimard. 1er juillet 1933.

Articles connexes

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Liens externes

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  1. « Voilà n°119 - VOILAsurlenet », sur collections.museeniepce.com (consulté le )