Arc-boutant
Un arc-boutant[N 1], ou arcboutant[N 2], est un organe de contrebutement formé d'un arc surmonté d'un petit mur aux assises horizontales et au faîte généralement rampant. Cet élément d'ossature neutralise par sa propre poussée une partie des poussées localisées d'une voûte ou d'un autre arc. Il forme ainsi une sorte d'étai en maçonnerie qui joue un rôle fondamental dans l'architecture gothique en contre-butant la poussée latérale des voûtes à croisée d'ogives des vaisseaux des églises et des chapelles, et les achemine vers le pilier de culée ou contrefort. Ce dernier est le plus souvent couronné d'un pinacle, ce qui permet, en constituant un poids important au-dessus de l'étai, d’asseoir vers le bas la poussée transversale reçue via l'arc-boutant, tout en allégeant visuellement ce dernier. Notons enfin que l'intérêt structurel de tels pinacles est principalement lié au fait que la structure est en assemblage de pierres de taille, empêchant ainsi le glissement latéral de celles-ci vers l'extérieur de la macrostructure (l'édifice).
Le principe des arcs-boutants permet aux architectes gothiques, dans leur course d'espace et de hauteur, de réaliser leur rêve d'élever de plus en plus haut des voûtes de plus en plus légères, avant qu'ils ne transforment ce contrefort de secours en élément décoratif. Le développement de la métallurgie au XIIIe siècle permet en effet un emploi très nouveau du fer, sous la forme de tirants dans les appareils ou de chaînages[N 3] ceinturant les murs des édifices qui peuvent alors se contenter de contreforts au lieu d'arcs-boutants[1].
Histoire
modifier« Nous ne connaissons pas toutes les fautes qui escortent dans l’ombre la réussite. On en trouverait sans doute des exemples dans l’histoire de l’arc-boutant »
— Henri Focillon, 1943[2]
Inventés vers la fin de la période romane dans l'architecture normande, ils sont alors dissimulés sous la toiture dans les combles par des murs-boutants, comme le chevet du Prieuré Saint-Martin-des-Champs à Paris. Les arcs-boutants sont d'abord utilisés par les architectes gothiques pour consolider les églises romanes qui menacent de s'effondrer quand leur voûte principale est trop haute, puis ils transforment ce contrefort de secours en un élément architectural et décoratif, destiné à assurer l'équilibre des hautes voûtes nervées. Cependant, leur utilité fait débat chez les premiers maîtres d'œuvre de l'époque gothique qui oscillent entre son rejet et son adoption. L'historien anticlérical Michelet qui dénigre l'art gothique[4], considère ces contreforts comme des « béquilles architecturales[5] ». Ernest Renan, en écrivant que « les arcs-boutants sont une forêt de béquilles », a bien compris que cet élément, lorsqu'il est envisagé comme permanent, devient un organe esthétique[6]. Ainsi, l'arc-boutant est un organe moins consubstantiel à l'architecture gothique qu'il a été supposé[7].
Le XIIe siècle constitue une période de tâtonnements pour les arcs-boutants qui reprennent la fonction des contreforts de l'architecture romane[8]. Mis en valeur lors de la construction de la cathédrale Saint-Étienne de Bourges, ils deviennent courants pendant le XIIIe siècle. Un contrebutement systématique est établi dans la nef de Notre-Dame de Paris autour de 1180, mais c'est à la cathédrale de Chartres que l'arc-boutant s'intègre dès l'origine à la construction[9]. Le système pour la construction de voûte utilisant des étais extérieurs obliques en bois par les maîtres ouvriers est pérennisé finalement en structure dans l'architecture gothique avec de la pierre formant l'arc-boutant mince et rampant : cela permet d'ouvrir de larges baies en partie haute des murs des églises, et d'éclairer abondamment l'intérieur à travers les vitraux. Les arcs-boutants servent aussi à l'évacuation de l'eau de pluie reçue sur le toit.
Les premiers arcs-boutants sont dits simples ou à simple volée : l'arc repose directement sur la culée. Au fil des siècles, la course d'espace et de hauteur, témoin du dynamisme urbain, du goût de l'exploit et de l'émulation des commanditaires (notamment les évêques), peut conduire les architectes à construire des arcs-boutants à double (peut-être, dans le parti primitif de la cathédrale Notre-Dame de Paris, dès les décennies 1160-1170)[10] voire à triple volée avec la construction de piliers intermédiaires avant la culée : l'arc trouve ainsi un appui contre une culée intermédiaire, ce qui permet d'assurer le mur gouttereau au point où celui-ci reçoit le maximum de la poussée exercée par la voûte, et de le stabiliser en partie supérieure, là où la pression du vent est très forte. Deux ou trois étages superposés peuvent être disposés à chaque travée. Le plus bas reprend l'essentiel de la poussée de la voûte maîtresse au voisinage de sa retombée, les plus hauts recueillent la poussée qu'exercent sur les gouttereaux les charpentes et la toiture[11],[12].
Pour les chrétiens, la voûte des sanctuaires évoque un navire retourné, la toiture la coque et l'église elle-même un bateau soutenu par ses rames (les arcs-boutants). Ils voient ainsi l'église comme un navire flottant sur les eaux célestes, si bien que le terme de nef s'est vite imposé par métaphore[13].
Chronologie en images :
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Début XIIIe siècle : cathédrale de Soissons.
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XIIIe siècle : cathédrale Saint-Denis.
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XIIIe siècle : chœur de la cathédrale de Beauvais.
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XIIIe siècle : chapelle basse de la Sainte-Chapelle.
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Fin XIIIe siècle : cathédrale d'Amiens.
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XIVe siècle : cathédrale Notre-Dame de Paris.
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XIVe siècle : cathédrale de Narbonne.
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XIVe siècle : église Saint-Urbain à Troyes.
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XVe siècle : cathédrale de Troyes.
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Début XVIe siècle : église Saint-Wulfrand à Abbeville
Utilisations notables
modifierIl n'est pas nécessaire de citer ici toutes les églises gothiques, en voici quelques-unes : cathédrales de Bourges, de Paris (Notre-Dame de Paris), de Strasbourg, ou de Cologne.
Le chevet de la cathédrale du Mans présente des arcs-boutants à triple volée, couplés en « Y », qui constituent une prouesse architecturale.
Les voûtes d'arêtes de la nef romane de l'abbatiale Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay (la construction de la nef actuelle s'achève en 1138) étaient, à l'origine, maintenues par des tirants à la naissance des voûtes (sur le croquis, en « A » la construction est figurée telle que l'architecte l'avait conçue), mais ces tirants ont rompu (en « B », figurée telle que l'effort des voûtes hautes l'avait déformée). Un siècle et demi après la construction de la nef, les effets produits avaient déjà causé la chute de plusieurs voûtes. Des arcs-boutants ont été construits (en E et pointillés) pour prendre le relais des tirants et maintenir les voûtes[14]. Au XVIe siècle, malgré le déclin de l'architecture gothique, des réminiscences de ce type d'architecture se voient dans des bâtiments français, mélangées à de l'architecture Renaissance et, dans certains bâtiments de ce siècle, il y a encore maintien de l'arc-boutant, comme sur les bas-côtés de la cathédrale Notre-Dame du Havre, mais où l'architecture Renaissance a influencé les arcs-boutants qui sont assez épais, contrairement aux arcs-boutants gothiques peu épais.
Au début du XXe siècle, la technique de l'arc-boutant a été reprise par le ministère de la Marine et des Pêcheries du Canada lors de la construction de neuf phares jalonnant les côtes canadiennes, notamment celui de Pointe-au-Père[15]. Ces neuf phares furent réalisés selon les plans de l'ingénieur français Henri de Miffonis et sous la supervision de William Patrick Anderson, ingénieur en chef du ministère[16].
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Un exemple d'utilisation de l'arc-boutant : l'abbatiale Sainte-Marie-Madeleine de Vézelay.
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Les arc-boutants du chevet de la cathédrale de Beauvais sont à deux étages et à double volée.
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La cathédrale Notre-Dame de Chartres est entourée d'arcs-boutants à double volée et à trois étages superposés. La volée est en quart de cercle à l'intrados et plane à l'extrados.
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Le phare de Pointe-au-Père (Canada), construit en 1909, est l'une des neuf tours renforcées d'arcs-boutants au Canada entre 1908 et 1910.
Notes et références
modifierNotes
modifier- Selon l’orthographe traditionnelle.
- Selon les rectifications orthographiques du français de 1990.
- Armatures métalliques rigidifiant les murs : barres, agrafes, barlotières chaînantes… Alain Erlande-Brandenburg met en avant la place tenue par la pierre armée dans l'architecture rayonnante, donc de l'art des cathédrales, à partir des années 1230. Cf Alain Erlande-Brandenburg, « La pierre armée au XIIIe siècle dans l'architecture rayonnante », Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France, vol. 1993, no 1, , p. 271-274 (DOI 10.3406/bsnaf.1995.9857, lire en ligne).
- Dans les années 1960, l’architecte Jean-Pierre Paquet constate que les tirants sont distendus, leurs extrémités rouillant à l'endroit où ils pénètrent dans la pierre. Jugeant ces barres inesthétiques et inutiles, il les fait retirer de la partie nord, négligeant le rôle d'amortisseurs des tirants en cas de forts vents. Ces vents créent des turbulences périodiques qui peuvent entrer en résonance avec la fréquence d’oscillation des culées, entraînant des fissures, voire un effondrement. Dans l'architecture gothique marquée par sa course à la hauteur, la prise au vent est en effet plus importante et augmente les risques de déchaussement des assemblages et d’inclinaison des fermes. En 1982, la violence des vents déstabilise les arcs-boutants, si bien qu'un nouvel ensemble de tirants-butons est positionné en périphérie du chevet dans les années 1990. Cf Guillaume Jacquemont, « L’acier des cathédrales : squelette ou béquille ? », Pour la science, no 448, , p. 6 ; Yves Boiret, « La cathédrale de Beauvais, les effets du vent », Rencontres internationales pour la protection du Patrimoine culturel. 2e Colloque – les risques naturels, Avignon, 1987, p. 369-373.
Références
modifier- Jean-Marie Pérouse de Montclos, L'art de France. La Préhistoire, l'Antiquité, et le Moyen Âge, Mengès, , p. 193
- Henri Focillon, Vie des formes, PUF, 2004 [1943], p. 15.
- Eugène Viollet-le-Duc, Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVe siècle : Tome quatrième : CONST - CY, Paris, B. Bance, , p. 296-297.
- Jean Pommier, « Michelet et l'architecture gothique », Études de Lettres : revue de la Faculté des lettres de l'Université de Lausanne, vol. 26, no 1, , p. 33 (DOI 10.5169/seals-869934).
- Jules Michelet, Histoire de France. Renaissance, Chamerot, 1855, p. CLVIII-CLIX
- Arnaud Timbert, Chartres. Construire et restaurer la cathédrale (XIe-XXIe siècles), Presses universitaires du Septentrion, , p. 60.
- Philippe Plagnieux, « Arc-boutant », Dictionnaire d'histoire de l'art du Moyen Âge occidental, Robert Laffont, 2009, 1 184 p. (ISBN 978-2221103258), p. 51-52.
- Jean-Pierre Willesme, op. cit., p. 22.
- Jean-Pierre Willesme, op. cit., p. 24.
- Andrew Tallon, « Archéologie spatiale. Le bâtiment gothique relevé (et révélé) par laser », dans Arnaud Timbert et Stéphanie Daussy (dir.), Architecture et sculpture gothiques. Renouvellement des méthodes et des regards, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, , p. 65-77
- Alain Erlande-Brandenburg, La cathédrale gothique, Mame, , p. 47
- Louis Grodecki, Le Moyen Age retrouvé: De Saint Louis à Viollet-le-Duc, Flammarion, , p. 101.
- Alain Villes, La Cathédrale Saint-Étienne de Châlons-en-Champagne et sa place dans l'architecture médiévale, D. Guéniot, , 460 p. (ISBN 978-2-87825-226-2), p. 346.
- Eugène Viollet-le-Duc, « Construction, principes », Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, t. 4.
- « Canadian Flying Buttress Lighthouses », www.ibiblio.org (consulté le 1er mai 2019).
- Brigitte Violette, La Station d'aide à la navigation de Pointe-au-Père et son phare de béton armé. Centenaire d'une construction audacieuse, 1909-2009, Québec, Parcs Canada, , 91 p. (ISBN 978-1-100-92042-9), p. 60-64.
Annexes
modifierBibliographie
modifierPar ordre chronologique de publication :
- Eugène Viollet-le-Duc, « Arc-boutant », dans Dictionnaire raisonné de l'architecture française du XIe au XVIe siècle, B. Bance éditeur, Paris, 1858, tome 1, p. 60-87 (lire en ligne)
- Georges Durand, « La question des origines du style gothique flamboyant ; lettre de M. Georges Durand, à propos d'un arc-boutant de la cathédrale d'Amiens », dans Bulletin Monumental, 1909, tome 73, p. 127-130 (lire en ligne)
- R. Lemaire, « La logique du style gothique », dans Revue Philosophique de Louvain, 1910, tome 66, p. 234-245 (lire en liogne)
- Eugène Lefèvre-Pontalis, « L'origine des arcs-boutants », dans Congrès archéologique de France. 82e session. Paris. 1919, Société française d'archéologie, Paris, 1920, p. 367-396 (lire en ligne)
- Eugène Lefèvre-Pontalis, L'Origine des arcs-boutants, Société générale d'imprimerie et d'édition, 1921.
- François Deshoulières, « Les arcs-boutants du chœur de Saint-Jean de Troyes » (compte-rendu), dans Bulletin Monumental, 1929, tome 88, p. 163-164 (lire en ligne)
- Henri Deneux, « De la construction en tas de charge et du point de butée des arcs-boutants au Moyen Âge », dans Bulletin Monumental, 1943, tome 102, no 2, p. 241-256 (lire en ligne)
- Anne Prache, Les arcs-boutants au XIIe siècle, dans Gesta, tome XV, p. 31-41, compte rendu par Alain Erlande-Brandenburg, dans Bulletin Monumental, 1977, tome 135, no 3, p. 239 (lire en ligne)
- Jacques Henriet, « Recherches sur les premiers arcs-boutants. Un jalon : Saint-Martin d'Étampes », dans Bulletin Monumental, 1978, tome 136, no 4, p. 309-323 (lire en ligne)
- Jean-Pierre Willesme, L'Art gothique, Paris, Flammarion, coll. « Grammaire des styles », 1982.
- William W. Clark, Robert Mark, « The first flying buttresses : a new reconstruction of the nave of Notre-Dame de Paris », dans The Art Bulletin, 1984, tome 66, p. 47-65, compte rendu par Anne Prache, dans Bulletin Monumental, 1984, tome 142, no 2, p. 196-198 (lire en ligne)
- Philippe Plagnieux, « Les arcs-boutants du XIIe siècle de l'église de Domont », dans Bulletin Monumental, 1992, tome 150, no 3, p. 209-222 (lire en ligne)
- (en) John James, « Evidence for Flying Butresses before 1180 », Journal of the Society of Architecturial Historians, vol. 51, no 3, , p. 267-269 (DOI 10.2307/990687)
- (en) Andrew Tallon, Experiments in Early Gothic Structure : the Flying Buttress, thèse doct., Columbia University, 2007, 234 p.