« Démocratie » : différence entre les versions

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[[Fichier:Père-Lachaise - Division 65 - Spuller 04.jpg|vignette|La République instruisant la Démocratie (statue du [[Cimetière du Père-Lachaise|Père-Lachaise]], division 65).]]
La '''démocratie''', du [[grec ancien]] {{Grec ancien|δημοκρατία|dēmokratía}}, combinaison de [[Dèmos|{{Grec ancien|δῆμος|dêmos}}]], « peuple » (de {{Grec ancien|δαίομαι|daíomai}}, « distribuer, répartir », et {{Grec ancien|κράτος|krátos}}, « le pouvoir », dérivé du verbe {{Grec ancien|κρατέω|kratéô}}, « commander », était à l'origine un [[régime politique]] dans lequel tous les [[Citoyenneté|citoyens]] participent aux [[décision]]s publiques et à la [[politique|vie politique]] de la cité. Ce dispositif s'effectuait soit [[Démocratie directe|de manière directe]] en soumettant des décisions au [[vote]] à tous les citoyens<ref>{{Lien web |titre=Démocratie |url=https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1487 |site=Perspective Monde, [[Université de Sherbrooke]] |consulté le=2024-06-15}}.</ref>{{,}}<ref name=":11">{{Lien web |langue=fr-FR |titre=Democracy - Manuel pour la pratique de l’éducation aux droits de l’homme avec les jeunes |url=https://www.coe.int/fr/web/compass/democracy |site=[[Conseil de l'Europe]] |consulté le=2024-06-15}}.</ref>, soit [[Démocratie représentative|de manière indirecte]] par des représentants qui étaient préalablement désignés, [[Tirage au sort en politique|de façon aléatoire]] ou par [[élection]], pour faire des [[Proposition de loi|propositions de loi]] ou prendre des décisions urgentes. Le terme désigne aujourd'hui tout [[système politique]] dans lequel le [[peuple]] est [[souverain]]<ref name=":11" />. Par extension, la démocratie peut aussi qualifier une forme de [[Société (sciences sociales)|société]], la manière de se [[Gouvernement|gouverner]] qu'adopte une [[organisation]] ou encore un système de [[Valeurs (sociologie)|valeurs]].
 
{{Article connexe|Démocratie délibérative}}
 
La démocratie peut donner lieu à des interprétations différentes. Deux sortes de difficultés d'interprétation existent. L'une concerne la signification concrète de la [[souveraineté populaire]] et son application pratique, par exemple selon que la démocratie est [[démocratie directe|directe]] (le peuple vote les [[loi]]s) ou [[démocratie représentative|représentative]] (le peuple élit des représentants qui votent les lois). La seconde sorte de difficulté provient de la diversité des régimes politiques qui se sont revendiqués ou se revendiquent comme démocratie. Pour sortir du premier dilemme, on utilise des critères pour déterminer le degré de démocratie auquel se situe un pays. Pour résoudre la seconde difficulté, on utilise le dénominateur commun des démocraties, c’est-à-dire les principes qui les distinguent des autres régimes politiques.
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* aux systèmes [[Monarchie|monarchiques]], où le pouvoir est détenu par un seul (μόνος/''monos'' = seul, unique) ;
* aux systèmes [[Oligarchie|oligarchiques]], où le pouvoir est détenu par un groupe restreint d'individus (ὀλίγος/''oligos'' = en petite quantité, peu abondant) ;
* aux systèmes de [[dictature]] ou de tyrannie. [[Karl Popper]], par exemple, considère qu'un régime est démocratique s'il permet aux citoyens de contrôler ses dirigeants et aussi de les évincer sans recourir à la violence. Karl Popper a présenté cette théorie dans plusieurs ouvrages dont ''La leçon de ce siècle''<ref name=":6">{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[Karl Popper]]|langue originale=it|titre=La leçon de ce siècle|sous-titre=entretien avec Giancarlo Bosetti|passage=132|lieu=Paris|éditeur=Éditions du Seuil|année=1993|pages totales=145|isbn=2-909848-07-8}}.</ref> et ''Toute vie est résolution de problèmes''<ref name=":5">{{Ouvrage|langue originale=de|auteur1=[[Karl Popper]]|titre=Toute vie est résolution de problèmes. Tome2 : Réflexions sur l'histoire et la politique|éditeur=Actes Sud|lieu=Arles|année=1998|pages totales=224|passage=73|isbn=2-7427-1861-3|oclc=41669389|lire en ligne=https://www.worldcat.org/oclc/41669389}}.</ref>. En démocratie, le problème n'est pas de savoir « qui doit gouverner » mais « comment empêcher ceux qui ont le pouvoir d'en abuser ». Le peuple a le pouvoir et le devoir d'évaluer les dirigeants, mais il est impossible que tout le monde dirige en même temps ;
* aux systèmes aristocratiques, où le pouvoir est détenu par ceux considérés comme « les meilleurs »<ref name="dupuis2013">{{harvsp|Dupuis-Déri|2013|id=DupuisDéri2013}}.</ref>. [[Francis Dupuis-Déri]] considère qu'en France ou aux États-Unis au {{s|XVIII}}, l'aristocratie héréditaire (sous le régime monarchique) a été remplacée par une aristocratie élue : selon lui, l'élection, mécaniquement, consiste à choisir les meilleurs pour des fonctions qui exigent des connaissances et elle est une procédure d’auto-expropriation du pouvoir par les citoyens, qui le confient aux élus<ref name=":4">{{YouTube|chaine= publications universitaires|titre=Démocratie : histoire d'un malentendu|id=KVW5ogGDlts}}, entretien avec [[Francis Dupuis-Déri]], {{date|2013-11-3}}.</ref> ;
* aux systèmes ploutocratiques, où le pouvoir est détenu par ceux qui possèdent le plus de richesses.
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]]
[[Fichier:Democracy Index 2022.svg|vignette|redresse=1.5|Carte de l'[[indice de démocratie]] publiée par [[The Economist Intelligence Unit]] en 2022 : plus le pays est en vert, plus il est considéré comme démocratique<ref>{{lien web |langue=en |titre=Democracy Index 2022: Frontline democracy and the battle for Ukraine |url=https://pages.eiu.com/rs/753-RIQ-438/images/DI-final-version-report.pdf |format=pdf |accès url=libre |site=[[The Economist Intelligence Unit]] |date=1 février 01-02-2023 |consulté le=8 février 2023}}.</ref>.<hr>
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=== Démocratie directe ===
{{Article détaillé|Démocratie directe}}
Dans la [[démocratie directe]], le pouvoir est exercé directement par les citoyens, sans l'intermédiaire d'organes représentatifs. Selon les lieux et les époques, la démocratie directe désigne différentes formes de gouvernement ou d'association politique dans lesquels des citoyens sont désignés pour préparer et proposer des lois puis l'ensemble des citoyens sont appelés à décider de leur adoption et de leur application<ref>{{Ouvrage|langue=françaisfr|auteur1=Robert Flacelière|titre=La vie quotidienne en Grèce au siècle de Périclès|passage=45-74|éditeur=Hachette|date=1959|isbn=2010059662}}.</ref>. Athènes en est un exemple : les citoyens réunis dans l'assemblée ordinaire de l'[[Ecclésia]] se réunissent quatre fois par [[prytanie]]<ref group="N">Une prytanie était une fraction de l’année valant 36 ou {{nobr|39 jours}}. Quatre réunions de l’Ecclésia par prytanie, à raison de dix prytanies par an, font approximativement une assemblée du peuple tous les dix jours.</ref>, votent la guerre et la paix, tirent au sort des magistrats aux fonctions administratives et exécutives. Les magistrats dont la fonction nécessite une expertise sont élus et révocables par les citoyens. Ceux-ci votent également l'[[Ostracisme (Grèce antique)|ostracisme]], c'est-à-dire la possibilité de bannir un citoyen pendant dix ans. Les décisions sont précédées de débats et prises par majorité à main levée. D'autres assemblées ([[Boulè]], [[Héliastes]] et [[Aréopage]]) contrôlent le bon déroulement du travail législatif et judiciaire<ref>{{Lien web|url= https://www.kartable.fr/ressources/histoire/cours/citoyennete-et-democratie-a-athenes-ve-ive-siecle-av-j-c/5512|titre= Citoyenneté et démocratie à Athènes ({{-sp-|V|-|IV}})|site= kartable.fr|consulté le= 2019-10-2}}.</ref>.
 
D'autres exemples jalonnent l'histoire, généralement dans le cadre d'un exercice [[Démocratie locale|local]] du pouvoir. C'est le cas depuis le {{s-|XVII}} en [[Nouvelle-Angleterre]], au travers des [[Assemblée communale|assemblées communales]], où la population des communes réunie en assemblée décide des lois, impôts et budget. Les [[Canton (Suisse)|cantons suisses]] d'[[Canton d'Appenzell Rhodes-Intérieures|Appenzell Rhodes-Intérieures]] et de [[Canton de Glaris|Glaris]] en sont des exemples, notamment au travers des communautés rurales ([[Landsgemeinde]] en suisse allemand) où les élections des représentants ont lieu à main levée. La [[Commune de Paris]] ou les [[Municipalités autonomes rebelles zapatistes|municipalités du Chiapas]] ([[Mexique]]) gérées par le mouvement [[Armée zapatiste de libération nationale|zapatiste]] sont aussi généralement considérées comme des expérimentations de la démocratie directe.
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; Dans la Grèce antique
{{article détaillé|Démocratie athénienne|Tirage au sort en politique}}
Il peut paraître absurde et dangereux de se fier au tirage au sort dans un régime démocratique, puisqu’il semble exclure toute forme de compétence<ref>[[Jacqueline de Romilly]], ''Problèmes de la démocratie grecque'', Paris, Hermann, collection Savoir, 1975, {{p.}}9.</ref>. C’est ce que constatait déjà [[Xénophon]] : {{citation|C’est folie que les magistrats de la cité soient désignés par la fève<ref group="N">Le tirage au sort se faisait avec des fèves, noires ou blanches. Les noms des candidats étaient placés dans une urne, et dans une autre, des fèves noires et blanches en nombre égal à celui des magistrats à élire ; la désignation était acquise au nom du candidat tiré en même temps qu’une fève blanche.</ref>, tandis que nul ne voudrait tirer au sort ni un pilote, ni un architecte, ni un joueur de flûte, ni tout autre homme de métier, dont les fautes sont bien moins préjudiciables que celles qu’on commet au gouvernement<ref>[[Xénophon]], ''[[Mémorables]]'', I, 2, 9.</ref>.}} Mais cette pratique s’explique : à l’origine, le tirage au sort était un véritable jugement de Dieu, comme l’a bien reconnu [[Numa Denis Fustel de Coulanges|Fustel de Coulanges]]<ref>[[Numa Denis Fustel de Coulanges|Fustel de Coulanges]], ''[[La Cité antique]]'', tome 1, livre III, chap. X.</ref>. C’est dans cet esprit que, bien qu’hostile au tirage au sort en politique, Platon en admettait le principe pour certaines fonctions religieuses, {{citation|afin de laisser le dieu lui-même indiquer ses préférences}}<ref>Platon, ''[[Les Lois]]'', livre VI, 759 b-c.</ref>.}} Inventé dans des temps archaïques pour désigner les chefs, ce tirage au sort a été conservé par les générations suivantes parce qu’il {{citation|offrait l’avantage d’apaiser les sanglantes rivalités des grandes familles}}<ref name="glotz">[[Gustave Glotz]], ''La Cité grecque'', Albin Michel, 1970, {{p.}}223.</ref>.}} Même dans les cités [[Oligarchie|oligarchiques]], le tirage au sort amortissait les luttes des partis les uns contre les autres et empêchait une faction victorieuse de faire prévaloir sa tyrannie dans tout le gouvernement, et d’exaspérer ainsi l’opposition. Incontestablement, il apportait un facteur de calme dans les cités en limitant la compétition<ref>[[Édouard Will]], ''Le Monde grec et l’Orient'', tome I, Le {{s-|V}} (510-403), P.U.F., 1972, {{p.}}100-101.</ref>. Alors que l’élection pouvait favoriser la brigue, l’intrigue, voire les fraudes, on crut que le tirage au sort était un moyen de supprimer les manœuvres électorales<ref name="glotz"/> ; mais pendant longtemps, les modalités habilement sophistiquées du tirage au sort n’empêchèrent ni la cooptation ni la brigue<ref>[[Gustave Glotz]], ''La Cité grecque'', Albin Michel, 1970, {{p.}}220.</ref>.
 
Il fallut attendre la réforme de [[Clisthène (Athènes)|Clisthène]], puis celle de [[487 av. J.-C.|487-486 av. J.-C.]] {{incise|où pour la première fois les neuf [[archonte]]s furent tirés au sort}}, et encore la réforme de [[457 av. J.-C.|457]] {{incise|où fut instauré le double tirage au sort, ou « tirage par la fève »}} pour voir le tirage au sort devenir un peu plus démocratique<ref>[[Gustave Glotz]], ''La Cité grecque'', Albin Michel, 1970, {{p.}}222.</ref>. Il allait améliorer la représentativité par l’abaissement des conditions [[Suffrage censitaire|censitaires]]. Vers 403 {{av JC}}, une nouvelle réforme visa à éviter la corruption, en élargissant la souveraineté populaire à l’échelle de l’ensemble de chaque [[Tribus (Grèce antique)|tribu]], et non plus seulement des [[Dème (Athènes antique)|dèmes]]<ref name="glotz"/>. En outre, en interdisant aussi à la plupart des magistrats d’être rééligibles, on diminuait le développement de personnalités de premier plan et de trop grandes autorités individuelles<ref>[[Jacqueline de Romilly]], ''Problèmes de la démocratie grecque'', Paris, Hermann, collection Savoir, 1975, {{p.}}10.</ref>. Dans la démocratie athénienne, le tirage au sort offrit ainsi à tous les citoyens un droit égal d’accès au Conseil, la [[Boulè]] des {{page h'|Cinq-Cents}} ; le tirage au sort de ses membres, les ''[[bouleutes]]'', et l’absence de toute qualification, si ce n’est d’âge, eurent pour effet d’{{citation|empêcher que la fonction fût l’objet d’une compétition}}<ref name="will">[[Édouard Will]], ''Le Monde grec et l’Orient'', tome I, Le {{s-|V}} (510-403), P.U.F., 1972, {{p.}}451.</ref>.}}
 
Pour éviter le danger d’une répartition si aveugle, la démocratie athénienne avait prévu plusieurs garde-fous : d’abord, le tirage au sort ne fut jamais appliqué aux magistratures militaires, en particulier les dix [[stratège]]s et les dix taxiarques<ref>[[Gustave Glotz]], ''La Cité grecque'', Albin Michel, 1970, {{p.}}224.</ref>, ni aux magistratures relatives aux finances publiques, qui toutes exigeaient compétences et talent<ref>[[Édouard Will]], ''Le Monde grec et l’Orient'', tome I, Le {{s-|V}} (510-403), P.U.F., 1972, {{p.}}265.</ref> ; il ne fut associé qu’à des magistratures courtes, de l'ordre d’un an pour les [[archonte]]s, ou d’un jour pour l’[[épistate]] (président) des [[prytane]]s, et fut assorti d’une obligation de [[reddition de comptes]] de la part des magistrats ainsi tirés au sort. Cette présidence d’un seul jour de l’épistate qui présidait la Boulè mais aussi l’[[Ecclésia]] éliminait l’influence personnelle et décourageait l’intrigue et les pressions<ref name="will"/> ; enfin, il était combiné avec l’élection de façon à respecter le principe, cher aux penseurs grecs, de la [[Justice distributive]] ou égalité proportionnelle, qui donne à chacun ce qui lui revient selon son mérite<ref>[[Jacqueline de Romilly]], ''Problèmes de la démocratie grecque'', Paris, Hermann, collection Savoir, 1975, {{p.}}11.</ref>. Le [[tirage au sort]] a ainsi fini par prendre en démocratie un sens égalitaire<ref>[[Gustave Glotz]], ''La Cité grecque'', Albin Michel, 1970, {{p.}}219.</ref>.
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== Les institutions démocratiques ==
 
Il existe différentes formes de démocraties, mais elles reposent toutes sur quelques principes fondamentaux et communs. On peut décliner ces principes de diverses manières. En effet il n'y a pas d'institutions précises mais des principes incontournables qui doivent être formulés dans des lois et s’incarner dans des institutions. Dans son livre ''Le commencement de l’infini'', David Deutsch rappelle que tout système démocratique consiste à faciliter « l’élimination sans violence des mauvaises politiques et des mauvais gouvernements »<ref name=":7">{{Ouvrage|langue=français|auteur1=David Deutsch|titre=Le commencement de l'infini|passage=354|éditeur=Cassini|isbn=9782842252151}}.</ref>.
 
=== Un rempart contre la tyrannie ===
En premier lieu, un État démocratique se dote d'institutions visant à protéger la population de toute forme de dictature. Ce principe apparait dès le début de la démocratie athénienne. « Le terme « démocratie », depuis la démocratie athénienne, est le nom traditionnel que l'on donne à une Constitution qui doit empêcher une dictature, une ''tyrannis'' »<ref name=":6" />. Cette exigence resta constamment présente durant toute l’époque où la démocratie fut le principal système politique en vigueur à Athènes, c’est-à-dire de −507 à −322<ref name=":8">{{Ouvrage|langue=françaisfr|auteur1=Mogens H. Hansen|titre=La démocratie athénienne à l'époque de Démosthène|passage=98|éditeur=Tallendier|isbn=9782847345810}}.</ref>. Au fil du temps, les Athéniens ont mis en place de multiples dispositifs contre la tyrannie. « {{citation|Dans les démocraties, les lois protègent les citoyens. Contre qui ? C’est clair, contre les dirigeants politiques et les magistrats, qui, dans leur relation avec les citoyens doivent respecter les lois démocratiques. »}}<ref name=":8" />, écrit Mogens Hansen dans son livre intitulé ''La démocratie athénienne à l’époque de Démosthène''.
 
Cet impératif se retrouve dans de nombreux textes, y compris des inscriptions sur des stèles. Ces textes condamnent toute action ou propos qui encourage à renverser la démocratie par la force et la violence. Il y a deux lois célèbres qui font référence (en −410 et en −336). Pour se rapprocher de cet impératif, il existe de multiples procédés qui se renforcent mutuellement. Le plus atypique est l'ostracisme.
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=== L’égalité des droits entre les citoyens ===
La démocratie doit donc protéger les citoyens contre l’arbitraire ou l’abus du pouvoir. Cela repose en premier lieu sur une égalité des droits entre les citoyens. Toute démocratie implique en effet un système politique où tous les citoyens sont soumis aux mêmes lois. Hansen<ref name=":8" /> précise que dès le départ le mot ''démocratia'' est équivalent au mot ''isonomia'' qui désigne l’égalité des droits politiques entre les citoyens, voire de l’''iségoria'' qui était une égalité des chances. On retrouve cette caractéristique notamment chez Hérodote qui écrit : « {{citation|On constate toujours et partout que l’égalité entre les citoyens est un avantage précieux : soumis à des tyrans, les Athéniens ne valaient pas mieux à la guerre que leurs voisins, mais libérés de la tyrannie, leur supériorité fut éclatante. »}}<ref>Hérodote, ''Histoires'', V, 78.</ref>. Ce texte indique que ce principe d’égalité devant la loi est nécessairement au cœur de tout système démocratique car il empêche que le pouvoir soit exercé selon le bon vouloir des dirigeants.
 
D’autre part, que l’on soit riche ou pauvre, intellectuel ou paysan, les responsabilités sont ouvertes à tous et chacun a, par le vote, le même poids pour accepter ou rejeter des décisions politiques ou la désignation des gouvernants. Hansen écrit que « {{citation|les différents aspects de l’égalité invoqués par les démocrates eux-mêmes revenaient à l’égalité des droits, grâce à laquelle tous les citoyens pouvaient avoir des chances égales et une égale protection de la loi »}}<ref name=":8" />.
 
=== La division du pouvoir ===
La démocratie est aussi un moyen de se protéger contre l’abus de pouvoir en créant des institutions qui puissent contrôler et diviser le pouvoir. Par exemple, au temps de Démosthène on a vu coexister 7 institutions différentes : L’Assembléel'Assemblée, les nomothètes, le tribunal du peuple, les collèges de magistrats, le conseil des Cinq Cents, la Boulè et le dispositif qui s’appelle « {{citation|le citoyen qui le désire parmi tous les citoyens qui en ont le droit »}}. On peut aussi ajouter les dispositifs au sein des dèmes et des tribus. Les démocraties modernes ont également plusieurs strates d’institutions mais surtout elles ont institué la séparation des pouvoirs judiciaires, législatif et exécutif qui n’existait pas dans l’Antiquité et qui constitue maintenant un principe incontournable pour diviser le pouvoir.
 
=== La rotation des gouvernants ===
Aristote, dans le livre VI de ''La politique'', énonce les éléments caractéristiques d’une constitution démocratique : les magistrats ont un mandat à durée limitée, il n’est pas renouvelable, leurs pouvoirs sont limités, on effectue une rotation, il y a un tirage au sort ou une élection, les citoyens peuvent siéger comme jurés. Hansen précise « {{citation|Quand Aristote définit la liberté politique qui règne dans un État par le fait d’« {{citation|être tour à tour gouverné et gouvernant »}}, il pense à la rotation des magistrats et non à une quelconque rotation dans le fonctionnement de l’Assemblée »}}<ref name=":8" />. D’une part, tout citoyen doit pouvoir prétendre aux fonctions de dirigeant. Chacun doit avoir la possibilité d’occuper un poste au pouvoir. D’autre part, chacun exerce son pouvoir de juge.
 
=== L'élection ou le peuple comme juge ===
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C’est pourquoi, en démocratie, les électeurs sanctionnent et évaluent les décisions prises et ils choisissent par leur vote les prochaines solutions à prendre. Ces solutions sont des tentatives pour résoudre des problèmes politiques. En effet, faire une moyenne des opinions de chacun ne permet pas d'aboutir à une décision parfaite, qui n’existe pas en politique. Il s’agit toujours de choisir un moindre mal entre plusieurs décisions possibles. D’autre part, réaliser une synthèse de toutes les opinions serait une tâche impossible et mènerait à des paradoxes, à des situations insolubles, c’est-à-dire à une absence de décision.
 
Les citoyens sont donc avant tout des juges. Quand on parle de gouvernement par le peuple cela veut dire que les gouvernements sont soumis au jugement du peuple. Chaque citoyen doit pouvoir participer à la désignation ou au rejet des gouvernants. Deutsch l’illustre par l’exemple des États-Unis. « {{citation|La déclaration d’indépendance des États-Unis et la constitution américaine mentionnent ainsi toutes les deux le droit du « peuple » à faire certaines choses, par exemple à changer de gouvernement »}}<ref name=":7" />.
 
La démocratie donne ainsi les moyens aux citoyens de surveiller les actions de ceux qui gouvernent par l'élection régulière. Cette fonction est primordiale. Popper précise même que la fonction essentielle et importante des élections est moins de choisir de nouveaux gouvernants que d’empêcher, sans violence et par le jeu démocratique, les mauvais gouvernants de rester au pouvoir.
 
=== La protection des libertés individuelles ===
La démocratie permet la préservation de la liberté individuelle en acceptant pour unique souverain les lois qui en sont les garantes. Aucun groupe, aucune classe, aucune majorité ne peut s’arroger la souveraineté. Ce sont les lois appliquées à tous sans distinction de groupe, d’origine ou de classes qui sont souveraines. À l’époque de Démosthène, Eschine déjà insistait sur cette caractéristique dans son ouvrage ''Contre Timarque''. La protection des citoyens par la loi est le sceau de la démocratie. Il parle des lois contraignant les gouvernants et non pas des gouvernés. Alors que la monarchie ou l’oligarchie sont dirigées par le bon plaisir des chefs « {{citation|les États démocratiques le sont au contraire par les lois qui garantissent la sécurité des citoyens d’un État démocratique et de sa constitution »}}.
 
=== Un régime qui autorise sa propre suppression ===
Quand on considère les démocraties antiques ou modernes, on constate que le remplacement de la démocratie par un autre régime peut être réalisé légalement. Un régime dictatorial ne peut être remplacé que par la violence. En effet, si l'on considère les lois athéniennes, on remarque que rien n’empêchait les gens de défendre un autre système politique mais elles interdisaient de fomenter des attaques contre elles. À Sparte, au contraire, quiconque louait une autre constitution que celle de la cité était sévèrement condamné. Il n’y avait pas de liberté d’expression ni de liberté de choisir un autre régime politique. Au contraire, la démocratie autorise sa propre destruction sans violence si les citoyens le décident, car une démocratie est régie selon des lois applicables à tous. L’égalité devant la loi est une marque nécessaire à tout système démocratique. Eschine oppose ainsi la démocratie et les autres systèmes : « {{citation|Les oligarques et ceux qui gouvernent selon le principe de l’inégalité doivent se protéger des hommes capables de renverser l’État par la force des armes, mais nous, dont la constitution est fondée sur l’égalité et le droit, nous devons écarter ceux dont la parole ou la conduite porte atteinte à la loi »}}. La démocratie rend souveraine les lois.
 
=== Les indices démocratiques de nos jours ===
De nos jours, on utilise non seulement les principes énoncés plus haut pour déterminer si un système est ou non démocratique, mais on dispose aussi d’indices permettant d’évaluer le degré démocratique d’un système politique. Les pays ayant un haut indice de démocratie respectent quelques principes de base :
 
* séparation des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) ;
* souveraineté du peuple ;
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==== Inde ancienne ====
 
À l'époque d'[[Alexandre le Grand]] ({{-s-|IV}}), {{refins|[[Quinte-Curce]] et [[Diodore de Sicile]]}} ont évoqué les peuples de guerriers des {{Latin|Sabarcae}} ou ''Sambastai'' qui auraient eu « une forme de gouvernement démocratique »<ref>{{Lien web|langue= en|auteur= Franz Ferdinand Schwarz (Graz)|titre= Sabarcae|url= http://dx.doi.org/10.1163/1574-9347_bnp_e1026260}}, ''in'' {{Ouvrage|titre= Brill's New Pauly|url=https://referenceworks.brillonline.com/entries/brill-s-new-pauly/sabarcae-e1026260?lang=fr}}.</ref>.
 
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=== Moyen Âge ===
Au [[Moyen Âge]], de nombreux systèmes sont fondés sur les élections et/ou une Assemblée, comme l'élection du Gopola au [[Bengale]]<ref name="DeBriey">{{Ouvrage|auteur1=Thierry De Briey|titre=Repenser la démocratie. Réflexions sur la démocratie en France et dans le monde. Volume 1|éditeur=Librinova|date=2021|isbn=9791026289180|consulté le=18/05/2022}}.</ref>, la [[République des Deux Nations|Communauté Lituano-polonaise]], l'[[Althing]] islandaise, le [[Vétché]] dans les pays slaves, les Things scandinaves, et la cité marchande autonome de [[Sakai]] au Japon ({{s-|XVI}}). Pour autant, ces systèmes dans lesquels la participation demeure souvent réservée à une minorité, pourraient tout aussi bien être qualifiés d'[[oligarchie]]s. La grande majorité des régions dans le monde du Moyen Âge sont gouvernées par une seigneurie, suivant un principe féodal, lequel commence au {{s-|XII}} à inclure des poches de système [[Commune (Moyen Âge)|communal]]<ref>{{Ouvrage|prénom1=Michel|nom1=Kaplan|titre=Histoire médiévale. Tome 2, Le Moyen Âge : {{s2-|XI|XV}}|éditeur=Bréal|date=1994|isbn=2-85394-732-7|isbn2=978-2-85394-732-9|oclc=32187350|lire en ligne=https://www.worldcat.org/oclc/32187350|consulté le=2022-05-18}}.</ref>.
 
En 1188, dans la péninsule ibérique, le nouveau roi du [[royaume de León]], [[Alphonse IX]], convoque un {{Lien|langue=es|trad=Curia regia (España)|fr= Curie Regia (Espagne)|texte= conseil royal}}, auquel les représentants élus des principales villes sont ajoutés pour la première fois avec voix et vote. Cette mesure a été considérée comme le premier exemple de parlementarisme moderne dans l’histoire de l’Europe occidentale<ref>{{Ouvrage|langue=anglais,en|auteur1=John Keane|titre=The Life and Death of Democracy|lieu=London|éditeur=Simon & Schuster|date=2009|pages totales=992|isbn=978-0-7432-3192-3}}.</ref>.
 
Le [[Parlement d'Angleterre]] naît avec les restrictions du pouvoir royal mises en place dans la [[Magna Carta]]. Le premier parlement élu est le Parlement de Montfort en Angleterre en 1265. Là encore seule une petite minorité dispose d'une voix : le Parlement est élu par quelques pour cent de la population (moins de 3 % en 1780<ref name="DeBriey" />), et le système présente des dispositions problématiques, telles que les municipalités corrompues. La convocation du Parlement dépend du bon vouloir du roi ou de la reine (le plus souvent lorsque celui ou celle-ci a besoin d'argent).
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[[Jean-Jacques Rousseau]] se prononce pour la [[démocratie directe]], mais sa conception de la démocratie n'est pas celle de la démocratie antique. Il rejette certes l'idée de [[démocratie représentative]] : {{citation|La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu'elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale et la volonté générale ne se représente point}} ; {{citation|toute loi que le peuple en personne n’a pas ratifiée est nulle}}<ref>[http://fr.wikisource.org/wiki/Du_contrat_social/%C3%89dition_1762/Livre_III/Chapitre_15 Rousseau, ''Du contrat social'', {{nobr|livre {{III}}}}, {{nobr|chapitre 15}}].</ref>, mais il estime que la rédaction des lois ne doit pas incomber une assemblée populaire : {{citation|une grande troupe formée en tumulte peut faire beaucoup de mal. Dans une assemblée nombreuse, quoique régulière, si chacun peut dire et proposer ce qu’il veut, on perd beaucoup de temps à écouter des folies, et l’on peut être en danger d’en faire}}<ref>{{Ouvrage|auteur= [[Jean-Jacques Rousseau]]|titre=[[Du contrat social]]}}.</ref>.
 
«En France [[Emmanuel-Joseph Sieyès]] (corédacteur de la Constitution française) oppose le gouvernement représentatif, qu'il contribue à mettre en place, à la démocratie (qu'il rejette) dans son discours du {{date|7|septembre|1789}} : {{citation|La France ne doit pas être une démocratie, mais un régime représentatif. Le choix entre ces deux méthodes de faire la loi, n’est pas douteux parmi nous. D’abord, la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; ils doivent donc se borner à se nommer des représentants. […] Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants » (Chapitre « Sur l’organisation du pouvoir législatif et la sanction royale »}}<ref>{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[François Furet]]|directeur1=oui|auteur2=[[Ran Halévi]]|directeur2=oui|titre=Les Orateurs de la Révolution française|tome=I : Les Constituants|éditeur=Gallimard|collection=Bibliothèque de la Pléiade|lieu=Paris|date=16-05-1989|pages totales=1608|passage=1025-1027|isbn=978-2-07-011163-3}}.</ref>).
En France [[Emmanuel-Joseph Sieyès]] (corédacteur de la Constitution française) oppose le gouvernement représentatif, qu'il contribue à mettre en place, à la démocratie (qu'il rejette) dans son discours du {{date|7|septembre|1789}} :
 
« La France ne doit pas être une démocratie, mais un régime représentatif. Le choix entre ces deux méthodes de faire la loi, n’est pas douteux parmi nous. D’abord, la très grande pluralité de nos concitoyens n’a ni assez d’instruction, ni assez de loisir, pour vouloir s’occuper directement des lois qui doivent gouverner la France ; ils doivent donc se borner à se nommer des représentants. […] Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants » (Chapitre « Sur l’organisation du pouvoir législatif et la sanction royale »<ref>{{Ouvrage|langue=fr|auteur1=[[François Furet]]|directeur1=oui|auteur2=[[Ran Halévi]]|directeur2=oui|titre=Les Orateurs de la Révolution française|tome=I : Les Constituants|éditeur=Gallimard|collection=Bibliothèque de la Pléiade|lieu=Paris|date=16-05-1989|pages totales=1608|passage=1025-1027|isbn=978-2-07-011163-3}}.</ref>).
 
Sieyès fut un contradicteur des théories de [[Jean-Jacques Rousseau|Rousseau]]. Emmanuel-Joseph Sieyès, lui, était opposé à la démocratie au sens littéral du terme qui permettrait à des concitoyens de s'occuper des lois. Ce dernier était aussi contre le [[suffrage universel]] et pour l'élection par [[suffrage censitaire]], car seuls les citoyens actifs, qui s'enrichissent, méritaient de voter selon lui ; cet élément à la fois [[Ploutocratie|ploutocratique]] et [[Aristocratie|aristocratique]] fut introduit dans la [[Constitution française de 1791]].
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=== {{s-|XX}} et {{s-|XXI}} ===
Le {{s-|XX}} est celui qui mit à l'épreuve les pays démocratiques dont la plupart étaient âgés d'à peine plus de {{nobr|100 ans}}. La montée des totalitarismes allemand et italien, l'instabilité d'autres pays européens comme l'Espagne ou le Portugal ont menacé à travers le monde la pérennité de ce système de gouvernance. Ce siècle a également vu la démocratie s'imposer dans un nombre croissant de pays pour devenir majoritaire de nos jours. [[Winston Churchill]] dans son discours à la [[Chambre des communes du Royaume-Uni|Chambre des communes]] en 1947 disait : {{Citation|Le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple : voilà qui reste la définition souveraine de la démocratie}}<ref>{{Lien web|langue=fr|titre=Ce que voulait vraiment dire Churchill avec son « La démocratie est le pire des systèmes...systèmes… »|url=http://www.slate.fr/story/117949/churchill-democratie-valls|site=[[Slate (magazine)|Slate]]|date=2016-05-12|consulté le=2019-11-19}}.</ref>.
 
<gallery>
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==== Les « révolutions arabes » ====
{{article détaillé | Printemps arabe}}
 
== Histoire de l'idée de démocratie ==
=== Les philosophes grecs et la notion de démocratie ===
==== Égalité arithmétique et égalité géométrique ====
Dans l'[[Éloge funèbre|oraison funèbre]] que [[Thucydide]] prête à [[Périclès]]<ref>{{ThuHis}}, Livre II, chap. XXXVII.</ref>, la démocratie fait l’objet d’un éloge remarquable. Elle y est définie par le fait que c’est la majorité qui gouverne et non pas le petit nombre. Surtout, à côté de cette souveraineté populaire, l’accent est mis non pas seulement sur l’[[égalité devant la loi]], mais aussi sur le principe d’une compétition ouverte à tous, et où chacun peut se distinguer par sa valeur et son talent : {{citation|La loi fait à tous, pour leurs différends privés, la part égale, tandis que pour les titres, si l’on se distingue en quelque domaine, ce n’est pas l’appartenance à une catégorie mais le mérite, qui vous fait accéder aux honneurs ; inversement la pauvreté n’a pas pour effet qu’un homme, pourtant capable de rendre service à l’État, en soit empêché par l’obscurité de sa situation.}} Cette description du régime athénien fait l'éloge d'un système politique où l’égalité démocratique, celle qu’[[Aristote]] et les philosophes grecs ont appelée [[Justice commutative|égalité arithmétique]], se combine avec [[Justice distributive|l’égalité géométrique]], fondée sur la différence et la proportion<ref>[[Jacqueline de Romilly]], ''Problèmes de la démocratie grecque'', Hermann, collection Savoir, 1975, {{p.}}48-49.</ref>. Ce principe des deux égalités, dont l’une distribue la même part à tous, et l’autre à chacun ce qu’il mérite selon sa valeur, a été exprimée par [[Archytas de Tarente]], [[Isocrate]]<ref>[[Isocrate]], ''Aréopagitique'', 21-22 ; ''Nicoclès'', 14.</ref>, [[Platon]]<ref>[[Platon]], ''[[Gorgias (Platon)|Gorgias]]'', 508 a ; ''[[Les Lois]]'', 507 b-c ; ''[[La République]]'', 558 c.</ref> et surtout [[Aristote]] : {{citation|On croit que la justice, c’est l’égalité ; et elle l’est en fait, non pas pour tous mais seulement pour des égaux ; l’inégalité aussi semble être juste, et elle l’est en effet, non pas pour tous, mais seulement pour des individus inégaux. Or on omet ce « pour qui », et l’on juge mal}}<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', Livre III, chap. IX, 1280 a 11-14.</ref>.}} En faisant une place à l’inégalité pour tenir compte des différences de conditions et de mérite, la démocratie grecque corrigeait les effets du nivellement égalitaire, et permettait aux plus capables de jouer leur rôle dans la cité. L’égalité selon le mérite, en valorisant dans la cité la notion de compétence, apportait aussi une réponse au problème de l’aveuglement et de l’ignorance populaires.
 
==== Incapacité du peuple à bien gouverner ====
Les erreurs qui se succédèrent à Athènes jusqu’à la condamnation à mort de [[Socrate]] amenèrent [[Platon]] à repenser la question politique dans son principe et à essayer de définir ce qu’est le véritable art politique. Durant des décennies il avait fait l’expérience de l’aveuglement populaire dans un régime où régnaient les passions et l’art d’entraîner les foules ignorantes par la [[démagogie]] et la [[Sophiste|sophistique]] des flatteurs : telle était à ses yeux la nature de la [[démocratie athénienne]], au sein de laquelle il vécut. C’est dire que son opposition au partage du pouvoir politique entre tous les citoyens vise d’abord la ''démocratie'' prise en son sens péjoratif de démagogie populaire. Son analyse s’appuie sur l'idée que pour gouverner, il faut une certaine science d’ordre moral et philosophique – plus précisément, avoir accédé à la connaissance des Idées du Vrai, du Juste et du Bien. Selon lui, les simples citoyens, ignorants de la Vérité et réfléchissant surtout en fonction de leurs intérêts particuliers, ne sauraient diriger à bien la cité, et par conséquent le pouvoir du peuple ne peut que conduire la cité à se corrompre. Si, dans l’idéal décrit dans ''[[La République]]'', Platon défend ainsi l'idée que seuls devraient gouverner des philosophes-rois, ou des rois-philosophes, à défaut, il admet de façon plus réaliste, dans ''[[Les Lois]]''<ref>[[Platon]], ''[[Les Lois]]'', Livre III, 693 d.</ref> et dans ''[[Le Politique]]''<ref>[[Platon]], ''[[Le Politique]]'', 303 a-b.</ref>, la nécessité d’un régime mixte, combinant [[monarchie]] et démocratie, la démocratie étant le moins mauvais des régimes imparfaits<ref>[[Jacqueline de Romilly]], ''Problèmes de la démocratie grecque'', Paris, Hermann, collection Savoir, 1975, {{p.}}59 à -66.</ref>.
 
D'une certaine façon, cette idée de l'incapacité du peuple à diriger les affaires publiques et à légiférer se retrouve plus tard chez d'autres penseurs occidentaux, aux États-Unis comme en France. Le président américain [[Thomas Jefferson]] affirmait à la fin du {{s-|XVIII}} : {{citation|Il y a une aristocratie naturelle, fondée sur le talent et la vertu, qui semble destinée au gouvernement des sociétés, et de toutes les formes politiques, la meilleure est celle qui pourvoit le plus efficacement à la pureté du triage de ces aristocrates naturels et à leur introduction au gouvernement}}<ref name="Jefferson 1994">[[Thomas Jefferson]], cité par Giovanni Lobrano, dans l'article « République et démocratie anciennes avant et pendant la révolution », ''Révolution et république, l’exception française'', Kimé, 1994, {{p.|56}}.</ref>.
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[[Aristote]] développe dans sa ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'' une typologie des différents « régimes politiques » : il distingue trois « constitutions droites » qui ont en vue l'intérêt général : ce sont la monarchie, l'aristocratie et la ''[[politie]]'' {{incise|ce dernier régime (en grec {{grec ancien|πολιτεία}}, « ''politeia'' ») est parfois traduit par république tempérée ou par régime ou gouvernement constitutionnel}}. Leurs trois déviations, qui servent des intérêts particuliers, correspondent respectivement à la [[tyran]]nie, à l'[[oligarchie]] et à la démocratie. Cette dernière est considérée par Aristote comme la déviation {{citation|la plus proche du [[juste milieu]]<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{IV}}, 2, 1289 b 4-11.</ref>}} ou la moins mauvaise. Elle est définie, par opposition à l'oligarchie, comme le régime dans lequel ce sont les pauvres qui gouvernent<ref group="N">Aristote considère la pauvreté et la richesse comme le critère principal qui différencie la démocratie et l’oligarchie, et le nombre de ceux qui gouvernent comme le critère « accidentel », voir ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{III}}, 8, 1280 a 3-6.</ref>. La démocratie est alors présentée comme une constitution déviée en tant que le gouvernement sert les intérêts particuliers d’un groupe et non l'intérêt général ; le peuple cherche à régner seul, en despote, et les flatteurs sont à l’honneur. Une démocratie de ce genre verse alors dans la [[démagogie]]<ref>[[Jacqueline de Romilly]], ''Problèmes de la démocratie grecque'', Paris, Hermann, collection Savoir, 1975, {{p.}}123.</ref>. C’est la pire forme de démocratie pour Aristote, car la masse populaire gouverne par décrets {{incise|qui sont circonstanciels et temporaires}}, et la loi {{incise|de portée universelle}} n’est plus souveraine. Cet état de choses est l'analogue d’une tyrannie ; or, l’impudence des démagogues représente pour Aristote la principale cause de renversement des régimes démocratiques<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{V}}, 5, 1304 b 20-21.</ref>.
 
Pour éviter ce désordre démocratique, Aristote prône la souveraineté de la loi, car {{citation|là où les lois ne règnent pas, il n’y a pas de constitution}}<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{IV}}, 4, 1292 a 32-33.</ref>}} : aussi, parmi les cinq formes de démocraties qu’il étudie, la meilleure est-elle la démocratie égalitaire, car l'[[égalité devant la loi]], {{citation|c'est que les pauvres n’aient pas plus de droits que les riches, et qu’aucun de ces deux groupes ne soit le maître, mais qu’ils soient l’un et l’autre pareils}}<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{IV}}, 4, 1291 b 30-34.</ref>.}} Dans un tel régime, la démocratie n'est plus le gouvernement d'un groupe, mais celui des pauvres aussi bien que des riches. Aristote associe dans le même passage la démocratie au régime qui vise aussi bien l'égalité que la liberté<ref>Voir aussi ''[[Rhétorique (Aristote)|Rhétorique]]'', 1366 a 4 : « Le but de la démocratie est la liberté ».</ref>, et où par conséquent « tous partagent principalement de la même manière le pouvoir politique ». Il note en ce sens que l'une des formes de la liberté consiste dans le fait d'être « tour à tour gouverné et gouvernant », ce qui correspond à la définition qu'il donne du citoyen (à la fois gouvernant et gouverné).
 
Par ailleurs, il note que l'attribution des magistratures par le tirage au sort est généralement considérée comme démocratique, l’élection caractérisant pour sa part les oligarchies<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{IV}}, 9, 1294 b ; et aussi ''[[Rhétorique (Aristote)|Rhétorique]]'', 1365 b 31-32.</ref>, ce qui souligne l'écart existant entre les conceptions contemporaines et antiques sur ces sujets. Il expose aussi d'autres caractéristiques des régimes populaires ou démocratiques, parmi lesquelles l’absence totale ou l’extrême modicité du [[Cens (impôt)|cens]] pour participer aux magistratures, la courte durée de celles-ci, ou encore l'interdiction d'exercer deux fois la même magistrature (sauf quelques exceptions)<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{VI}}, 2, 1317 b 22-25.</ref>…
 
En réponse aux griefs de Platon contre l’incompétence du peuple, Aristote défend la délibération démocratique. Il insiste sur son caractère collectif qui justifie la compétence accordée au peuple ; car le rassemblement d'un grand nombre d'individus permet en quelque sorte d'additionner {{citation|leur part d’[[Arété|excellence]] et de [[Phronesis|sagesse pratique]]}}<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{III}}, 11, 1281 b 1-7.</ref>. Quand bien même chacun y serait plus mauvais juge que les spécialistes, il affirme que tous réunis soit seront meilleurs, soit ne seront pas plus mauvais. Il ajoute à cela l'idée que le spécialiste n'est pas toujours le mieux placé pour juger d'un autre spécialiste, en donnant notamment l'exemple du festin, où c'est le point de vue du convive (l’usager) et non du cuisinier (l’expert) qui conviendra pour juger de sa qualité. Selon [[Jacqueline de Romilly]], {{citation|contrairement aux penseurs précédents et à Platon lui-même, Aristote a reconnu le caractère spécifique du fait politique}}<ref>[[Jacqueline de Romilly]], ''Problèmes de la démocratie grecque'', Paris, Hermann, collection Savoir, 1975, {{p.}}171.</ref>}} : un peuple est un être collectif, une {{citation|communauté d’hommes libres}}<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{III}}, 6, 1279 a 21.</ref>}}, et le corps civique est un mélange où chacun a sa place, aussi une bonne démocratie tient-elle compte de cet ensemble<ref>[[Jacqueline de Romilly]], ''Problèmes de la démocratie grecque'', Paris, Hermann, collection Savoir, 1975, {{p.}}171-173.</ref>. C’est pourquoi Aristote recommande de ménager la minorité des riches dans une démocratie, {{citation|en s’abstenant de soumettre au partage non seulement leurs propriétés, mais même leurs revenus}}<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{V}}, 8, 1309 a 14-17.</ref>}}, en vertu du principe fondamental, maintes fois énoncé par Aristote, selon lequel {{citation|le bien en politique, c’est la justice, c’est-à-dire l’[[intérêt général]]}}<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{III}}, 12, 1282 b 16-18.</ref>.}} En outre, il souligne l'importance pour la masse de ne pas être trop pauvre dans une démocratie, mais il ne saurait être question de nourrir les pauvres aux frais de la cité<ref group="N">Il ne s’agit ni d’allocations versées en espèces, car {{citation|une telle manière d’aider les pauvres, c’est comme le [[Danaïdes|tonneau percé]]}}, écrit Aristote, ni d’[[Liturgie (Grèce antique)|impôts]] nouveaux frappant les riches.</ref> ; Aristote propose l’achat par la cité, sur ses revenus, de petits domaines au profit des pauvres<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{VI}}, 5, 1320 a 33 - 1320 b 4.</ref>.
 
Par là s’explique que le régime qu'Aristote considère comme le plus avantageux, la ''[[politie]]'', se définisse d’abord par le règne de la loi et de l’intérêt général, mais aussi par l’équilibre, en tant que moyen terme : car il correspond à un régime mixte, mélange d’oligarchie et de démocratie, combinant l’élection au [[Tirage au sort en politique|tirage au sort]], et où la classe moyenne, qui doit y être la plus nombreuse, est donc celle qui a le plus de pouvoir<ref>{{Lien web|url= http://agora.qc.ca/documents/democratie--la_politie_par_aristote|titre= La politie|site= [[Encyclopédie de l'Agora]]|date= 2012-4-1}}.</ref>. Il s'agit là d'une conception en cohérence avec l'ensemble de sa pensée, qui considère le [[juste milieu]] (en {{lang-grc|τὸ μέσον}}) comme ce qui est préférable. Pour garantir la durée de ce régime, il est important d’assurer {{citation|un système d’éducation conforme au régime politique}}, écrit Aristote, non pour former des partisans<ref>[[Jacqueline de Romilly]], ''Problèmes de la démocratie grecque'', Paris, Hermann, collection Savoir, 1975, {{p.}}189.</ref>, mais pour que les citoyens vivent, en démocratie, selon des habitudes et des valeurs morales et civiques propres au régime démocratique<ref>[[Aristote]], ''[[Politique (Aristote)|Politique]]'', {{V}}, 9, 1310 a 12-38 et {{VII}}, 13 et 14.</ref>.
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[[Fichier:Alexis de tocqueville.jpg|vignette|Alexis de Tocqueville.]]
 
Il y considère la démocratie comme principalement caractérisée par la tendance à l'égalisation des conditions, celle-ci devant être comprise non pas tant comme une égalité réelle et stricte des conditions économiques et sociales, mais plutôt comme renvoyant à l'abolition des privilèges aristocratiques liés à la naissance et à la diminution des écarts de fortune, à l'égalité des droits, l'instabilité de la hiérarchie sociale, à la possibilité pour tous les citoyens de participer au pouvoir politique, ou encore à un nivellement culturel par la généralisation de l'accès à la culture et à l'éducation. La démocratie, et donc le mouvement historique vers cette égalité des conditions, est considérée par Tocqueville comme « universelle » et inéluctable, et à ce titre, comme « providentielle »<ref name=":10">{{Ouvrage|citation= Fait providentiel, il en a les principaux caractères, il est universel, il est durable, il échappe chaque jour à la puissance humaine ; tous les événements comme tous les hommes servent à son développement. Serait-il sage de croire qu'un mouvement social qui vient de si loin pourra être suspendu par les efforts d'une génération ? Pense-t-on qu'après avoir détruit la féodalité et vaincu les rois la démocratie reculera devant les bourgeois et les riches ? S'arrêtera-t-elle maintenant qu'elle est devenue si forte et ses adversaires si faibles ? |titre= [[De la démocratie en Amérique]]|chapitre= Introduction|auteur= [[Alexis de Tocqueville]]}}.</ref>.
 
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==== Définition de la démocratie par Paul Ricœur ====
Pour [[Paul Ricœur]],
* « {{citation|Est démocratique, une société qui se reconnaît divisée, c’est-à-dire traversée par des contradictions d’intérêt et qui se fixe comme modalité, d’associer à parts égales, chaque citoyen dans l’expression de ces contradictions, l’analyse de ces contradictions et la mise en délibération de ces contradictions, en vue d’arriver à un arbitrage »}}<ref>{{Ouvrage|auteur1= [[Paul Ricœur]]|auteur2=[[Joël Roman]]|titre=L'idéologie et l'utopie|éditeur=[[Éditions du Seuil]]|date=1997|isbn=2-02-021796-1|isbn2=978-2-02-021796-5|oclc=416458196|lire en ligne=https://www.worldcat.org/oclc/416458196|consulté le=2021-01-18}}.</ref>.
* « {{citation|Par rapport à la notion de conflit, est démocratique un état qui ne se propose pas d’éliminer les conflits, mais d’inventer les procédures leur permettant de s’exprimer et de rester négociables. […] Quant à la définition de la démocratie par rapport au pouvoir, je dirai que la démocratie est le régime dans lequel la participation à la décision est assurée à un nombre toujours plus grand de citoyens »}}<ref>Paul Ricœur - ''Du texte à l'action'', {{p.|404}}, [[Éditions du Seuil]], 1986.</ref>.
* « {{citation|La démocratie n’est pas un régime politique sans conflits, mais un régime dans lequel les conflits sont ouverts et négociables selon des règles d’arbitrage connues. Dans une société de plus en plus complexe, les conflits ne diminueront pas en nombre et en gravité, mais se multiplieront et s’approfondiront »}}<ref>Paul Ricœur - ''Soi-même comme un autre'', in ''{{nobr|Lectures 1}} : Autour du politique'', {{p.|166}}, [[Éditions du Seuil]], 1991.</ref>.
 
== Polymorphisme de la démocratie ==
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=== Critique de la démocratie représentative ===
==== Critique marxiste de la « démocratie bourgeoise » ====
Parallèlement à la critique des [[droits de l'homme]], [[Karl Marx|Marx]], et à sa suite les marxistes, dénoncent ce qu'ils qualifient de démocratie bourgeoise pour son caractère factice. L'égalité politique des citoyens que les démocraties libérales prétendent établir et garantir serait contredite par le rapport de domination entre la classe bourgeoise et prolétarienne. Ainsi, les courants marxistes considèrent que dans une société capitaliste, l'égalité des citoyens est principalement fictive et illusoire, et que les droits et libertés accordés aux individus sont, au sein des démocraties libérales, non pas concrets et effectifs, mais simplement « formels ». Cela, principalement en ce qu'ils ne contreviennent en rien aux inégalités économiques, qui se répercutent comme inégalité d'accès au savoir et à l'information, empêchant ainsi le prolétariat de réellement jouir des droits et libertés qui lui sont théoriquement accordés, mais donc matériellement inaccessibles. Marx dénonce aussi la conception bourgeoise de la liberté qui serait contenue dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce qu'elle garantit la propriété privée, y compris de moyens de production

{{citation bloc|le droit de l’homme, la liberté, ne repose pas sur les relations de l’homme avec l’homme mais plutôt sur la séparation de l’homme d’avec l’homme. C’est le droit de cette séparation, le droit de l’individu limité à lui-même.
 
L’application pratique du droit de liberté, c’est le droit de propriété privée. Mais en quoi consiste ce dernier droit ? « Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de ses biens, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie. » (Constitution de 1793, {{nobr|art. 16}}.)
Le droit de propriété est donc le droit de jouir de sa fortune et d’en disposer « à son gré », sans se soucier des autres hommes, indépendamment de la société ; c’est le droit de l’égoïsme<ref>Karl Marx, la question juive.</ref>.}}
 
Selon [[Vladimir Ilitch Lénine|Lénine]] en 1919, qui s'appuyait entre autres sur l'ouvrage d'[[Friedrich Engels|Engels]], ''[[L'Origine de la famille, de la propriété privée et de l'État|l'origine de la famille, de la propriété privée et de l'État]]'', « {{citation|Quelles que soient les formes revêtues par la république, même la plus démocratique, si c'est une république bourgeoise, s'il y subsiste la propriété privée sur la terre, les usines et les fabriques, et si le capital privé y tient toute la société en état d'esclavage salarié, autrement dit si l'on n'y réalise pas ce que proclament le programme de notre Parti et la Constitution soviétique, alors cet État est une machine qui sert aux uns à opprimer les autres »}}<ref>{{Ouvrage|auteur1=Lénine|titre=Lénine|éditeur=Éditions en langues étrangères|lieu=Moscou|année=1947|passage=p. 430}}.</ref>.
 
==== Le régime représentatif, une « oligarchie libérale » plutôt qu'une démocratie ====
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==== La démocratie comme encadrement des masses ====
[[Jacques Ellul]], en se fondant sur son analyse du ''système technicien''<ref>[[Jacques Ellul]], ''[[Le Système technicien]]'', 1977, Calmann Lévy {{3e|édition}}, Le Cherche Midi, 2012.</ref> et des moyens modernes de [[propagande]], considère que de l'utopie d'une « démocratie-contrôle », dans laquelle l'administration étatique est réellement contrôlée par le peuple, on est passé à une « démocratie-encadrement ». « {{citation|La démocratie n'est plus un moyen de contrôler le pouvoir mais d'encadrer les masses »}}, affirme-t-il dans ''[[L'Illusion politique|L'illusion politique]]'' en 1965<ref>[[Jacques Ellul]], ''L'Illusion politique'', 1965. {{3e|édition}}, La Table Ronde, 2004, {{p.|218-219}}.</ref>. C'est également la conclusion de [[Noam Chomsky]] quand il critique les vues d'un « [[Walter Lippmann]] et [de] tous les autres représentants de cette principale école de penseurs « démocratiques » en Occident : la démocratie requiert une classe d'élite pour s'occuper de la prise de décisions et « fabriquer » l'assentiment de l'ensemble de la population envers des politiques qui sont supposées dépasser ce qu'elle est capable de développer et de décider par elle-même »<ref>[[Noam Chomsky]], ''Comprendre le pouvoir : {{nobr|tome {{I}}}}'', Aden, 2005, {{p.|68}}.</ref>.
 
==== La démocratie et son « chien de garde » ====
Ces penseurs, en particulier [[Noam Chomsky]] dans ''La Fabrique de l'opinion publique''<ref>''La Fabrique de l'Opinion publique - La Politique économique des médias américains'', par Noam Chomsky et Edward S. Herman, traduction Guy Ducornet, éditions Le Serpent à plumes (2003).</ref>, structurent leur analyse en englobant le rôle des médias dans le champ des ratés de la démocratie, alors que les théories modernes de la démocratie en Europe, et ses institutions européennes, confient aux médias un rôle de « chien de garde » de la démocratie. Ainsi, la [[jurisprudence]] de la [[Cour européenne des droits de l'homme]] estime que la presse pourrait « {{citation|être moins à même de jouer son rôle indispensable de chien de garde »}} de la démocratie si l'absence de [[protection des sources d'information des journalistes]] dissuade les sources d'information (experts, témoins, spécialistes) d’aider « {{citation|la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général »}}.
 
==== Contrôle démocratique de l'information ====
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Sans refuser la démocratie, de nombreux penseurs ont mis en avant ses limites si elle n'est pas encadrée par des règles de droit immuables. Au lendemain des expériences révolutionnaires de la fin du {{s|XVIII}} et des dérives de la Terreur ou du régime napoléonien en France, [[Alexis de Tocqueville]] ou [[Benjamin Constant]] soulignèrent certains dangers de la démocratie.
 
Le philosophe franco-suisse [[Benjamin Constant]] est l'un des premiers à mettre en avant ce risque dans ses ''[[Principes de politique]]'' (1806), tout en défendant la nécessité d'un régime représentatif : « {{citation|L'erreur de ceux qui, de bonne foi dans leur amour de la liberté, ont accordé à la souveraineté du peuple un pouvoir sans bornes, vient de la manière dont se sont formées leurs idées en politique. Ils ont vu dans l'histoire un petit nombre d'hommes, ou même un seul, en possession d'un pouvoir immense, qui faisait beaucoup de mal ; mais leur courroux s'est dirigé contre les possesseurs du pouvoir, et non contre le pouvoir même. Au lieu de le détruire, ils n'ont songé qu'à le déplacer »}}<ref>[[Benjamin Constant]], ''[[Principes de politique]]'', Édition Guillaumin, édition 1872, {{p.|9}}.</ref>. C'est entre autres pour cela qu'il défend une démocratie censitaire, estimant qu'un minimum de propriété est nécessaire pour pouvoir prendre part à la désignation des dirigeants de l'État.
 
[[Alexis de Tocqueville]], s'il considère la marche vers la démocratie comme irrésistible, note le risque à accorder tous les pouvoirs au peuple ou à un organe représentatif. Ainsi, il écrit dans ''[[De la démocratie en Amérique]]'' : « {{citation|je regarde comme impie et détestable cette maxime, qu'en matière de gouvernement la majorité d'un peuple a le droit de tout faire, et pourtant je place dans les volontés de la majorité l'origine de tous les pouvoirs (…). Lors donc que je vois accorder le droit et la faculté de tout faire à une puissance quelconque, qu'on appelle peuple ou roi, démocratie ou aristocratie, qu'on l'exerce dans une monarchie ou dans une république, je dis : là est le germe de la tyrannie, et je cherche à aller vivre sous d'autres lois. Ce que je reproche le plus au gouvernement démocratique, tel qu'on l'a organisé aux États-Unis, ce n'est pas, comme beaucoup de gens le prétendent en Europe, sa faiblesse, mais au contraire sa force irrésistible »}}<ref>Tocqueville, ''[[De la démocratie en Amérique]]'', {{nobr|tome 1}}, {{nobr|partie 2}}, {{nobr|chapitre 7}} ; Pléiade, Gallimard, 1992, {{p.|287}}.</ref>. À cette dérive d'une « démocratie jacobine », il oppose la « [[démocratie libérale]] », respectueuse des individus.
 
[[John Stuart Mill]], qui avait lu Tocqueville, développe cette idée dans le chapitre introductif de son ouvrage ''[[De la liberté]]'' : « Aussi range-t-on maintenant, dans les spéculations politiques, la tyrannie de la majorité au nombre de ces maux contre lesquels la société doit se tenir en garde »<ref>John Stuart Mill, [[De la liberté]], trad. Charles Dupont-White, 1860, {{p.|7}}.</ref>.
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=== La démocratie comme méthode ===
La démocratie, en plus d'être un régime politique, est une méthode de prise de décision qui peut être utilisée dans tous les domaines de la vie collective. C'est ce qu'affirme [[Pierre Rosanvallon]] dans ''Le Modèle politique français'' (2008)<ref>{{Ouvrage|titre=Le Modèle politique français : La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours|auteur=[[Pierre Rosanvallon]]|éditeur=[[Éditions du Seuil]]|année=2008|ISBNisbn=2020855089}}.</ref>. Pour l'auteur, la démocratie n'est plus un système politique mais une méthode qui doit être appliquée dans toutes les sphères de la vie. Elle est désormais « partout » et non plus seulement au Parlement ou au sein des administrations publiques. De ce fait, le citoyen ne peut plus être considéré comme un individu qui vote lors des élections pour choisir ses représentants mais comme un acteur à part entière de la vie politique : « Les hommes ne seront jamais complètement libres tant qu’ils ne seront pas tous responsables les uns envers les autres »<ref>{{Lien web|url=https://www.seuil.com/ouvrage/le-modele-politique-francais-pierre-rosanvallon/9782020855082|titre=Le Modèle politique français : La société civile contre le jacobinisme de 1789 à nos jours|site=[[Éditions du Seuil]]}}.</ref>.
 
=== Le courage en démocratie ===
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=== Notes ===
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=== Références ===
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== Voir aussi ==
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=== Articles connexes ===
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=== Liens externes ===
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{{Liens}}
* [http://classiques.uqac.ca/contemporains/dupuis_deri_francis/esprit_anti_democratique/esprit_anti_democratique_texte.html L’esprit antidémocratique des fondateurs de la « démocratie » moderne (1999)] Francis Dupuis-Déri.